1. « Oh non ! » S’excusant rapidement du regard auprès de ses amis attablés, elle se leva de sa chaise et se mit à courir. Elle avait dix secondes. Elle contempla son t-shirt éclaboussé par le jus de fruit. Trempé. Elle n'avait pas le temps. L'océan était trop loin, jamais elle ne pourrait l'atteindre avant que... « Aah ! » Elle s'effondra au sol dans un bruit mat, son imposante queue de poisson aux écailles orangées l'empêchant de se relever. « Et merde. » Elle posa son menton sur ses mains jointes, les coudes appuyés dans l'herbe grasse. Heureusement qu'elle avait eu la présence d'esprit de passer derrière un épais buisson à cet instant. Elle en avait pour environ une dizaine de minutes avant d'être entièrement sèche et de retrouver ses jambes. Il n'y avait plus qu'à prier pour que personne ne se sente la subite envie de contourner ce charmant bosquet par désir d'aventures. Foutues nageoires.

2. Elle avait attendu cet instant toute la journée. La plage était vide, le soleil commençait à s'effacer derrière l'océan. Elle ne prit pas la peine de jeter un coup d’œil autour d'elle, afin de vérifier que personne ne la verrait, ou même d'ôter ses vêtements. Elle commençait à courir sur le sable, décomptant mentalement à partir de l'instant où ses pieds frôlèrent les vagues du rivage. Dix. Elle plongea, s'enfonçant complètement dans l'eau. Neuf. Elle était limpide, elle pouvait déjà apercevoir quelques poissons aventureux. Huit, sept, six. Plus elle avançait, plus le sable s'effaçait devant les quelques coraux et galets. Cinq, quatre, trois. Elle imaginait déjà ce sentiment délicieux de... Deux, un. Dans un bruit cristallin et presque inaudible, sa queue apparut. Ravie, elle exécuta une pirouette de mise et convola en jouant de ses nageoires vers ses deux amies, dansant le même ballet aquatique. Elle leur adressa un signe plein de sens, et nagea à pleine puissance, vers la grotte. C'était le protocole usuel, toutes trois filaient alors telles des torpilles vers leur repaire de la grotte de Mako - là où tout avait changé. Dieu, que c'était grisant. Pour rien ne monde elle ne retrouverait son ancienne condition.

3. C’est un sentiment étrange. Inexplicable. Une attirance, presque magnétique. Un irrépressible besoin de se trouver ici, dans cette ville, sur cette plage. Il n’est pas le seul à le ressentir, pas le seul à avoir plié bagages pour ce patelin sur la côte australienne. A s’être installé là sans plus d’explications là où personne ne s’attendrait à le voir aller. Il les a vus, les autres êtres à queue de poisson et buste humain, tels que lui. Lorsqu’il partit nager entre les coraux dansants, ces silhouettes familières lui apparurent. Il les suivit sur des kilomètres entiers à cette vitesse que seuls des créatures de leur espèce peuvent atteindre. Jusqu’à cette île, au loin. De plus près, dans la grotte, il remarqua que leurs nageoires ne scintillaient pas du même éclat coloré que le sien ; elles dorées, lui bleuâtre. « D’où tu sors ? » Lui demandèrent-elles au bord du bassin. Il n’était pas le seul étranger. D’autres teintes coloraient les écailles des Sirènes. Certaines étaient bleutées, comme lui. Non, il n’était pas le seul que cette forme avait tiré jusqu’ici.

Faisant intrusion sur le pont du bateau amarré près de l’île au volcan, il tendit la feuille de papier à sa collègue. « Regarde ça. » Elle observa d’un œil attentif les résultats du magnétomètre ; se dessinait sous ses yeux une courbe aux allures folles que seul leur regard initié pouvait comprendre. Il n’y avait pas d’erreur ; ces traits soulevaient à eux seuls une foule de nouvelles questions auxquelles des scientifiques de leur espèce ne demandent qu’à donner les réponses. Cette île cache quelque chose, une énigme dont ils trouveront la solution. Leurs sourires satisfaits et impatients trahissaient leur excitation. « C’est quoi ce truc, putain ? » s’écria une voix à quelques mètres. L’homme avait fait un bond en arrière en apercevant une silhouette aux reflets dorés dans l’eau, dont la peau écailleuse frôlait la surface. Une espèce marine comme il n’en avait jamais vu. Quoi qu’il jurait qu’il ne s’agissait pas d’un poisson.