• Avez-vous des rêves ou des espoirs pour le futur ? L'idéal, pour Sept, serait que quelqu'un trouve un moyen pour que les sirènes redeviennent humaines. Ou au moins qu'elles puissent mener une vie normale, un espèce de vaccin qui retirerait cette handicapante transformation à la moindre goutte d'eau... Ou encore que les sirènes se révèlent à la face du monde... Chimère plus que véritable espoir, elle se contente de croiser les doigts pour décrocher son diplôme et devenir vétérinaire.
• Dans la vie, on a des hauts et des bas. Si vous deviez nous racontez le souvenir le plus heureux de votre vie, lequel serait-il ? Son plus beau souvenir... Sans doute le jour où son père lui a annoncé qu'il était muté en Australie, qu'il l'emmenait avec lui et, surtout, surtout, quand il lui a dit qu'il n'aurait plus à se balader autour du globe.
• Si vous aviez l'opportunité de remonter le temps, quel événement de votre vie changeriez vous ? Une seule chose ? Sans hésiter son petit bain de minuit improvisé avec Caliban sur Augustine. Essayer de le dissuader de s'y baigner, ou même de s'y rendre, tiens...

• Une seule goutte d'eau, et le compte à rebours est entamé : comment faites-vous pour dissimuler votre nature de sirène à vos proches ? Elle a aujourd'hui la chance de vivre seule, donc cacher sa nature n'est plus d'actualité quand elle est chez elle. Dehors, par contre, c'est plus... compliqué, disons. Pour le moment, la seule chose qu'elle a trouvée, c'est courir le plus vite possible pour se planquer dans un coin non fréquenté, éventuellement des toilettes, quitte à passer pour une folle.
• Sentir les écailles remplacer votre épiderme, les nageoires se fondre sur vos pieds, l'eau vous caresser doucement... Quel est pour vous la plus belle chose dans le fait d'être une sirène ? La proximité avec les créatures marines. Sept n'est pas une de ces écervelées qui passent leurs temps à se courser, non, elle préfère prendre son temps, observer, et surtout communiquer avec toute cette vie aquatique - au sens métaphorique du terme évidemment. Elle n'a pas encore appris le langage poisson ni dauphin, mais elle ne se sent jamais plus proches d'eux que quand elle est sous sa forme écailleuse.
• Calepins en main, appareils de mesure complexes... Que pensez-vous de la horde de scientifiques qui se penchent un peu plus sur les phénomènes étranges se passant à Cooktown et entourant votre existence de sirène ? Elle en a peur, vraiment peur. Après tout, qui peut savoir ce qu'ils comptent faire s'ils découvrent l'existence des sirènes ? Tout est possible, depuis la simple série de questions jusqu'à la dissection propre et nette.

« Tu es sûre que ça ne te dérange pas de partir en Australie, ma chérie ? » La petite brune secoua légèrement la tête en bouclant soigneusement sa valise, imposante. Sa petite chambre d'Alaska était définitivement vide. Les meubles étaient déjà dans l'énorme navire qui devaient les amener en Australie, et ses vêtements étaient tous dans les deux valises qui l'entouraient. « Tu sais, tu peux tout à fait... » « Arrête, papa, c'est bon. Je t'ai dit que j'étais d'accord ! » Elle s'approcha de son père, un grand homme aux cheveux poivre et sel et au regard trop vert. Se hissa sur la pointe des pieds pour plaquer un baiser sur sa joue. « Au moins, là-bas, on pourra passer du temps ensemble. On ne l'a plus fait depuis que maman est morte, je te rappelle. » C'était advenu six ans plus tôt. Elle n'avait que douze ans. Un accident de voiture sur une route gelée, comme partout en Alaska pendant les mois d'hiver. « Je sais que ton boulot, tout ça, c'était pas évident mais maintenant tu n'auras plus à partir tous les trois jours aux quatre coins de la planète. » Arthur Edgecombe sourit tendrement, ébouriffa les courtes mèches brunes de sa fille et lui plaqua un baiser sonore sur le front. « Tu as raison. En avant. » Septembre hocha doucement la tête. Dans un sens, peut-être que ça lui permettrait de comprendre pourquoi elle était attirée par l'Australie comme un métal par un aimant. Peut-être était-ce dû à sa nature, cette nature avec laquelle elle devait faire tous les jours depuis deux ans. Elle ferma les yeux avec un soupir et laissa les souvenirs remonter.

« Ben bravo ! Et on fait quoi, maintenant ? » Les bras croisés, Septembre observait Caliban Delenikas, son petit ami. Elle se demandait encore comment elle avait pu se laisser entraîner dans une telle aventure - connerie serait peut-être un mot plus juste. Celui-ci semblait ravi. « On attend demain. Et on peut même prendre un bain de minuit ! » L'adolescente jeta un coup d'oeil au bassin sur sa droite. L'eau était un peu étrange, d'un bleu peut-être trop bleu et semblait presque briller. « Je te rappelle qu'on était censés camper dans le McNeil River Range, et toi t'as rien trouvé de mieux à faire que nous amener en exploration stupide sur Augustine qui est, je tiens à le signaler, une fichue île dont le volcan est encore en activité ! » Caliban se contenta d'un sourire. Il l'attrapa par la taille pour l'attirer vers lui. « Rien ne t'empêchait de rester en forêt. » « Idiot. Tu sais bien que c'était hors de question. » Un baiser, encore un, et dix minutes plus tard à peine, ils étaient plongés jusqu'au cou dans l'eau irréelle du bassin, trempés jusqu'aux os. La température du liquide ne devait pas excéder les dix degrés, mais la chaleur qui montait entre eux était bien suffisante pour qu'ils ne frissonnent pas. Septembre s'agrippa aux cheveux du jeune homme, le corps plaqué contre le sien. Sans doute seraient-ils allés beaucoup plus loin que de simples attouchements si la lune, pleine, n'était pas passée juste au-dessus du cratère. L'eau frémit, puis bouillonna, de grosses bulles se formant à sa surface. « Hm... Cal... Attends, il se passe un truc bizarre ! » Son petit ami ne se détacha d'elle qu'au bout de plusieurs avertissements à la suite, profondément frustré. « Qu'est-ce que... » Ils se séparèrent. Septembre voulut battre des jambes pour regagner le bord du bassin mais déjà le bouillonnement furieux s'arrêtait et l'eau redevenait aussi calme qu'elle l'avait été quand ils y étaient entrés.
Le lendemain soir, en se débarbouillant dans une rivière, ils connurent leur toute première transformation.

« J'y vais ! » Saluant ses collègues, Septembre poussa la porte du Top Pub où elle travaillait à mi-temps, se faufila dans sa voiture - une petite Smart qui tournait bien et pouvait se faufiler à peu près partout - et se dirigea à grands rugissements de moteur vers Finch Bay. Elle y avait rendez-vous avec Charlène Fabray, une jeune femme débarquée de France depuis maintenant cinq ans. A dire vrai, elles étaient voisines, elles étaient devenues amies et, plus encore, Charlène aussi était une sirène. Elle faisait partie du clan des sirènes de Staffa, les Seiren. Elles s'étaient croisées complètement par hasard dans les eaux proches de Cookstown et, depuis, autant dire qu'elles étaient devenues inséparables. Très vite, Septembre plongea dans l'océan. Dix secondes plus tard, ces écailles blanches qui la caractérisaient avaient pris la place de ses vêtements et de ses jambes.
Charlène l'accueillit avec un baiser sonore sur la joue. « Alors, mademoiselle la serveuse ? Comment tu vas ? » « Bien et toi ? » La conversation fut animée, porta sur des choses aussi futiles - comme la dernière coupe de cheveux abominable de la concierge - que sérieuses - notamment le malaise de Septembre quant au fait de devoir cacher sa nature écailleuse à son père. Soudain, le visage de Charlène se fendit d'un sourire malicieux. « Et comment ça se passe avec ton Jules ? » La jeune étudiante mit un moment avant de comprendre. « Si tu parles d'Aedan, je te rappelle encore une fois qu'il n'y a rien entre nous ! » « C'est ce qu'on dit... » Silence. Septembre poussa un petit soupir en battant distraitement l'eau tandis que Charlène levait ses yeux bleus vers le ciel. Le soleil tapait fort, en ce mois de février. « Tu comptes lui dire que c'est toi qu'il a vu, l'an dernier ? » Un an auparavant, la plus jeune avait en effet été surprise sous sa forme écailleuse par un jeune étudiant en photographie qu'elle connaissait bien. Elle se demandait même s'il ne l'avait pas photographiée au passage, mais elle doutait qu'il l'ait reconnue sur le coup. Quoi qu'il en était, elle hésitait à tout lui dire. C'était un coup à briser ce qu'il y avait entre eux. « Je ne sais pas, Charlie. Je ne sais absolument pas. »