C'était une journée qui commençait de la façon la plus banale possible. Nous avions décidé, avec quelques amis, de passer l'après-midi ensemble. Il faisait un temps merveilleux et nous nous devions de sortir. Par moment, Cooktown m'apparaissait comme le paradis sur terre. Évidemment, la ville ne valait pas les quelques régions d’Hawaï que je connaissais, mais lorsque le soleil frappait l'océan et venait s'étendre sur les fenêtres des bâtiments, il y avait une lumière si blanche que l'on aurait pu véritablement se croire en plein eldorado. J'étais heureuse de la vie que je menais, même si je devais porter le poids d'un secret qui devenait de plus en plus encombrant. On dit toujours qu'avec le temps, les blessures cicatrises, les erreurs deviennent leçons et que les problèmes s'amoindrissent. Pourtant, depuis cette nuit dans cette fichue grotte dans mon pays d'origine, j'avais plutôt la sensation que mon problème ne faisait qu'empirer. Peut-être que le poids de la solitude que me faisait ressentir ce secret devenait de plus en plus acerbe, ou peut-être était-ce tout simplement cette queue écailleuse qui me lassait. Quel est l'intérêt d'un don, ou d'un pouvoir, ci celui-ci ne peut être partagé ? Très franchement, parfois cela me rongeait. Même mon copain ignorait ce secret.. et puis même si ma meilleure amie venait de l'apprendre, le fait de devoir subir cela seule, c'était ça le plus dur. Il fallait s'y accommoder, et c'est ce que je m’efforçais de faire. Si je m'étais seulement doutée de ce qui se produirait aujourd'hui, je me demande si je me serais levée ce matin. Mais d'un autre côté, ce serait la libération que j'attendais. Nous étions assis dans ce bar, à rire en cœur. Elle n'était qu'une inconnue pour moi, une personne dont on observe le visage, mais duquel on ne conserve aucun souvenir dans les heures qui suivent. Elle faisait partie de ces personnes avec qui on partage un instant volé de notre journée, de notre quotidien, et pourtant on se connait pas, on ne cherche même pas à savoir. Elle était serveuse et elle fut l'erreur innocente et involontaire de renverser sur moi cette malheureuse substance qui me transforme en poiscaille, de l'eau. Ce n'était pas de sa faute, elle ne pouvait pas savoir - enfin du moins, c'est ce que je pensais - personne ne pouvait savoir. Je dû courir plus vite que le son pour me cacher, malheureusement je m'étala lourdement sur le sol des toilettes, avant même d'avoir pu franchir la porte de la cabine et de pouvoir m'y enfermer. Je craignais que mes amis m'aient suivi et qu'ils me voient ainsi. Quelle surprise fut-ce pour moi d’apercevoir non-pas l'un de mes amis, mais la serveuse en question. Voulant simplement bien faire, souhaitant s'excuser et certainement apporter de son aide, pour le coup, elle fit une découverte stupéfiante. Moi, fille banale et plutôt commune, assise sur le sol, arborant une queue de poisson écaillée à la place des jambes. J'étais une sirène.. et pour la première fois depuis 1 an et demi, une inconnue venait de le découvrir. Pour la première fois depuis tout ce temps, je n'avais pu cacher ma véritable nature.. mon ultime secret. J'avais imaginé cette scène des centaines de fois dans mon esprit. Le visage stupéfait, puis la fuite, l'annonce publique criée élégamment sur les toits, mon exposition aux yeux de tous et pour finir, ma nature de monstre à la une des journaux. Je redoutais ce moment plus que tout, ce pourquoi j'avais mis tant de mal à le cacher. Pourtant, rien ne se passa comme prévu. La jeune femme n'eut pas cet air ahuri auquel je m'attendais, elle n'eut pas de rictus crispé de dégout, ni même l'envie de fuir. Elle se baissa à ma hauteur.. comme si elle éprouvait un soulagement. Je tentais tant bien que mal d'esquisser un sourire, mais cela m'était très difficile compte tenu des circonstances. « Euhm.. Tu n'es pas.. effrayée ? »