• Avez-vous des rêves ou des espoirs pour le futur ? Mon grand but dans la vie est d'avoir une existence saine et heureuse, entourée des personnes que j'aime. Vient en second de réussir à décrocher mon diplôme et surtout continuer à garder ma nature secrète. Il me semble que si les autres découvrent ça, je serais dans une mauvaise passe.
• Dans la vie, on a des hauts et des bas. Si vous deviez nous raconter le souvenir le plus heureux de votre vie, lequel serait-il ? Chaque moment de mon existence a été spécial. Mais celui que je préfère le plus est sans doute le jour où j'ai emménagé à Cooktown. J'ai souvent rêvé de mon indépendance. Le fait de gérer ma vie comme bon me semble est pour moi quelque chose dont je ne peux plus m'en passer.
• Si vous aviez l'opportunité de remonter le temps, quel événement de votre vie changeriez vous ? Je changerais cet épisode tragique dans ma vie : le jour où je me suis transformée en sirène. Ça ne s'est passé qu'il y a une semaine... Je n'arrive toujours pas à accepter l'idée que je suis devenue mi-femme, mi-poisson. Je me demande bien s'il y a des personnes comme moi... J'hésite à contacter Dorian, il est passé par les mêmes évènements mais il doit m'en vouloir amèrement de l'avoir accusé d'être la cause de nos mésaventures.

• Une seule goutte d'eau, et le compte à rebours est entamé : comment faites-vous pour dissimuler votre nature de sirène/triton à vos proches ? Règle d'or : ne jamais s'approcher d'un point d'eau lorsque des personnes se trouvent à proximité. Mais un accident est vite arrivé. Dans ce cas, la seule solution qui me reste est de prendre les jambes à mon cou. Jusqu'à maintenant, j'ai eu de la chance, personne ne connait mon secret et je tiens à que ça reste le cas. Je n'ose pas imaginer ce qui se produira quand on découvrira que je suis une sirène.
• Sentir les écailles remplacer votre épiderme, les nageoires se fondre sur vos pieds, l'eau vous caresser doucement... Quel est pour vous la plus belle chose dans le fait d'être une sirène/un triton ? Je ne sais pas, je n'ai pas encore eu l'occasion de vraiment expérimenter ma transformation. Pour l'instant, j'ai bien trop peur de rester tout le temps sous cette forme de sirène pour oser me transformer. J'attendrais d'être plus à l'aise avec l'idée d'être une sirène pour nager dans l'océan. Ça doit être magique de visiter les profondeurs.
• Calepins en main, appareils de mesure complexes... Que pensez-vous de la horde de scientifiques qui se penchent un peu plus sur les phénomènes étranges se passant à Cooktown et entourant votre existence de sirène/triton ? Il y a des scientifiques à Cooktown qui enquêtent sur les sirènes ?! Je l'ignorais complètement... Eh bien, il me semble que je vais devoir doubler ma vigilance. S'ils comptent m'attraper pour me traiter comme un animal de foire, ils peuvent toujours rêver !

justaddwater.com

Je suis l'unique enfant d'un couple séparé. Mes parents sont divorcés depuis mes sept ans. Contrairement à ce que pensent les autres membres de ma famille, j'ai vécu très bien dans un foyer déchiré. Même si je ne voyais mon père que lors des vacances d'été, je m'étais fait à l'idée progressivement de grandir auprès de ma mère seule. Mais commençons depuis le début, voulez-vous ?

Je suis née en 1992 à Los Angeles, USA. Notre maison se trouvait non loin de la plage. J'ai connu la mer avant d'apprendre à marcher. Pour longtemps, ce fut mon lieu de prédilection lorsque les disputes fréquentes éclataient dans mon foyer. Mon père fut longtemps un agent marketing dans une société qui produit du papier avant d'être désigné comme associé, ma mère était et reste toujours un professeur universitaire de littérature. Comme quoi ma famille était aisée mais sans pour autant afficher un luxe vulgaire. On vivait heureux ou du moins je vivais heureuse. Le fait que j'ai longtemps été une enfant unique ne me dérangeait guère. Au contraire, je soupire parfois en pensant à cette époque. Mes parents étaient fort pris par leurs fonctions respectives pour se charger tout le temps de moi. Puisque je ne pouvais compter sur personne pour amuser mes journées, j'ai appris peu à peu à être indépendante.

Je m'épanouis avec l'âge. Vint le temps de prendre des cours. Je suivis la classe d'une certaine Mrs Bradford dans une école locale. Il me reste le souvenir d'une dame d'un âge respectable, avec un accent typiquement british qui faisait parfois rire mes camarades. Ce fut la première personne qui touchait mon coeur d'enfant, avec ses manières douces et cette tendance qu'elle avait de répondre à toutes mes questions avec franchise. Je lui dois mon amour pour les livres et le respect que je réserve à la nature. Elle m'avait été d'une aide précieuse lorsque les choses ont commencé à dégénérer à la maison. Dans ma vie d'adolescence, j'ai eu l'occasion de la contacter deux fois.


Jusqu'à maintenant, j'ignore pourquoi et quand justement mes parents avaient commencé à se sauter à la gorge. Je me rappelle que les repas se passaient en silence. Il suffisait que je quitte la table pour que les accusations pleuvent et les regards noirs s'échangent. Ils ne se disputaient jamais devant moi mais ils ignoraient que je pouvais les entendre. Ils finirent par se séparer d'un commun accord. La garde fut accordée à ma mère. Je quittai mon cher pays pour l'Australie où une université de Sydney proposait un poste à ma mère. Une nouvelle vie pour moi, en somme.

Depuis lors, j'ai toujours vécu à Sydney. Ma mère s'est remariée. Mon beau-père est adorable et m'a toujours bien traitée. Il a compris qu'en s’immisçant dans notre famille, il n'avait pas intérêt à poser ses règles. Il ne m'a jamais rien imposée, je lui suis redevable pour ça. Le nouveau couple eut un enfant. Un garçon, mon demi-frère de neuf ans mon cadet. Alexander. On ne s'est jamais bien entendu, c'est un garçon gâté qui adore me casser les pieds. Mais bon, je ne suis pas facile, non plus ! Chaque été, je quittais ce joyeux petit univers pour rejoindre mon père à Los Angeles. Lui, par contre, n'a jamais cherché à se caser. Je pense qu'il a perdu foi en mariages... Il a l'air toujours ravi de me voir, il m'a proposé plusieurs fois de déménager chez lui. Cette question m'a toujours gênée. En me voyant ainsi, il changeait de sujet rapidement. Je dois l'avoir blessée plusieurs fois, je m'en veux terriblement.


Après mes études secondaires, je pus me réjouir d'avoir mon bac en poche. J'aspirais à des études d'architecture. Je n'avais pas été déçue, l'université de Queensland voulait bien de moi. Cela signifiait pour moi l'indépendance et une vie nouvelle puisque je devais quitter Sydney pour emménager à Cooktown.

Quelques mois plus tard, j'étais dans mon nouvel appartement, un charmant deux pièces, ensoleillé et surtout non loin de la plage, ce qui me rappelait mes années d'enfance. Pour subvenir à mes besoins, je décidai de prendre un petit boulot. Je fus d'abord caissière dans une boutique avant de commencer une "carrière" de serveuse. Je me débrouillai bien... et il n'est pas question que de travail. Mes études me plaisaient. Je coulais une existence agréable que je ne changerais pour rien au monde.


J'aurais pu vous raconter comment j'ai pu avoir mon diplôme, rencontré un jeune homme qui m'aurait aveuglé avec son physique, son maintien et ses manières, fondé une famille... Mais nous n'y sommes pas encore. Je commence même à désespérer que mon futur se passe ainsi, car, voyez-vous tout a changé. Cela commença avec un email de mon père :

From : m.devolanges@gmail.com
To : anastasiadev@australia.edu
Object : Suprise !
Date : 27 Mai 2012

‘‘ Ana' chérie,
J'espère que tu vas bien. Je pensais t'appeler pour t'en parler mais tu dois être occupée avec tes examens... Oh chérie, je suis extrêmement désolé mais je ne vais pas être disponible pendant tes grandes vacances. Tu sais qu'habituellement, même si j'ai du travail, je fais tout pour me libérer afin de te consacrer le mois de Décembre. Mais cette fois-ci, j'ai un voyage d'affaire qui risque de durer un peu plus de trois semaines. Je ne veux pas t'assommer avec les détails du boulot mais les choses ne se passent pas vraiment comme je le veux, il faut que je sois amplement présent pour gérer les affaires.

Cependant, je t'écris aussi pour te proposer une alternative. Nous pourrions nous voir durant tes vacances d'hiver. Je sais que tu n'as qu'une semaine de vacances vers fin Juin mais ça le fera. A moins que tu n'aies prévu autre chose, j'ai pensé qu'on pourrait voyager tous les deux... A Hawaii ! Je suis sûr que ça te tente puisque nous ne sommes jamais allé là-bas.

Appelle-moi dès que tu le peux pour qu'on en parle plus précisément.
Je t'embrasse tendrement,
Papa. ’’

Mon père a toujours préféré tout préparé à l'avance... Tout le contraire de ma mère qui vit du jour au jour. Ils ne doivent jamais s'être entendus sur ce point. Bien sûr, j'acceptai la proposition de mon paternel avec joie. Ce n'est pas souvent qu'on me propose une occasion de découvrir d'autres contrées. Et cet accord causa ma perte.

Je mentirai si je disais que je détesterai remettre les pieds à Hawaii. C'est un archipel féerique que j'ai adoré visiter. Nous avons posé bagages sur l'île O'ahu puisque la capitale de l'état de Hawaii s'y trouve. J'avais conscience que la semaine se passerait rapidement ; j'essayais donc de goûter à chacun des plaisirs qu'offraient l’île, sans modération. J'ai un peu honte de le dire mais j'en oubliais presque de passer du temps avec mon père, tellement cet univers m'attirait puisqu'il était différent du mien.

Le deuxième jour de vacances, je fis la connaissance d'un groupe de jeunes de mon âge sur la plage. Un jeune homme me regardait, l'air aguicheur. Je l'approchai, nous fîmes connaissance. Il m'invitai à boire un verre, le soir même, j'acceptai avec joie. Dorian était adorable, son air posé me plaisait beaucoup. J'avais conscience que l'on ne se reverra probablement pas mais cela ne m'empêcha pas de flirter avec lui. Nous dansâmes la nuit, sous les rayons lunaires, puis nous nous séparâmes avec l'idée de nous revoir le lendemain à la plage.

Les deux jours suivants se passèrent aussi rapidement que je l'avais prévu. Le matin, je me rendais tôt à la plage, en compagnie de Dorian et ses amis. Je déjeunais ensuite en compagnie de mon père et lui consacrais mon après-midi. Ensuite, je passais le soir avec Dorian, nous promenant dans les récifs, sur la plage ou nous rendant dans quelques endroits où nous pourrions nous amuser.


Le quatrième jour, Dorian vint me chercher à l'hôtel avec une idée derrière la tête. Il avait découvert un bassin à l'écart de la société, bien dissimulé dans la lande. L'idée d'un bain ensemble à l'abri des regards m'enchantait, je répondis à la proposition de Dorian avec un sourire sensuel et mystérieux. Puis, main dans la main nous nous dirigeâmes vers l'endroit décrit si subtilement par mon compagnon. Ce fut bien plus fort que mes espérances. De l'eau émanait des lueurs enchanteresses, un bleu parfait. Je me débarrassai de mes vêtements un à un avant de plonger allègrement dans l'eau. Il me rejoint sans plus tarder. Ses bras m'enveloppèrent avec douceur, il venait de poser ses lèvres sur mon cou lorsque je m'éloignai de lui, fascinée par un spectacle saisissant.

La lune venait de percer par le haut du cratère. L'astre lunaire était rond et lumineux, mes yeux brillaient, c'était magique. Je ne croyais pas si bien penser. L'eau se mit à bouillonner. La panique m'envahit... Je lus mon expression sur le visage de mon compagnon. Mais il suffit que la lune dépasse le cratère et ne soit plus visible pour les choses rentrent dans l'ordre. Un frisson me parcourut, je me tournai vers Dorian : « Je... hum... C'était un effet spécial ou... euh... On ferait mieux de rentrer. »
Tôt le matin, je retrouvais Dorian à la plage déserte à cette heure de la journée. L'incident d'hier soir était oublié. Ou du moins, je tentais de ne pas y penser ayant eu ma dose de frayeur. Un petit bain matinal me remettrait surement l'esprit en place. Sans prévenir, je m'élançais dans l'eau de la plage d'O'ahu, Dorian sur mes pas. Je n'avais pas prévu ce qui allait se passer. Mes pieds qui battaient en rythme pour me garder à la surface furent remplacer par une vulgaire queue de poisson. La panique m'envahit lorsque je pris compte du fait que Dorian subissait le même traitement que moi.

« On a été transformé en sirènes...
- Ne sois pas ridicule, les sirènes n'existent pas !
- Et tu appelles ÇA comment ? Je savais bien que cet endroit était bizarre, cette eau était maléfique, nous n'aurions jamais..
- Le regret ne sert à rien. Sortons d'abord de là.. Ça s'arrangera.. Ça DOIT s'arranger. »

Difficilement, je parvins à émerger de l'eau. Ma peau était couverte d'écailles rosées, c'était atroce. La panique me submergea de nouveau mais je tentais de l'oublier. Je pris ma serviette et m'appliquai à ôter toute trace de cette eau sur mon corps. Je commençai à perdre espoir lorsqu'enfin mes jambes retrouvèrent leur aspect normal. J'étouffais un sanglot, cédant enfin au panache d'émotions qui m'avaient emplis cette soirée. Puis sans prévenir, je m'élançais vers l'hôtel. N'ayant personne à accuser, je laissais ma colère se diriger vers Dorian. « Plus jamais ! »

Les jours suivants, je les passais à l'abri à l'hôtel, meurtrie, sans pouvoir expliquer mes raisons à mon père. Je m'étais rendue compte en prenant ma douche qu'il suffisait que je touche l'eau pour que je me transforme de nouveau en un monstre mi-femme, mi-poisson.

Aujourd'hui, je viens de retourner en Australie, à l'abri dans mon petit univers. Mais les séquelles de mes vacances sont restées.

Je suis une sirène et je ne sais pas du tout comment vivre ça.