• Avez-vous des rêves ou des espoirs pour le futur ? J'aimerais voyager partout dans le monde. Sans que ma maladie ne me pose de problèmes... Le problème justement c'est que je sais que c'est impossible. N'empêche que mon rêve s'est presque réalisé puisque j'ai quand même changé de ville, de pays, de continent et d'hémisphère ! Alors oui, j'aimerais encore voyager, voir d'autres endroits et je pense que c'est pour ça que j'apprends autant de langues, ça me donne l'impression de voyager... Remarque, un de mes espoirs, du coup, ce serait de vivre longtemps malgré ma maladie. Oui, ce serait bien ça. Et si je peux vivre longtemps, Nohann aussi. Ce serait vraiment bien.
• Dans la vie, on a des hauts et des bas. Si vous deviez nous raconter le souvenir le plus heureux de votre vie, lequel serait-il ? Des souvenirs heureux, j'en ai pas des tonnes mais c'est quand même facile de choisir. Bon, en fait y en aurait deux alors on prend le premier... Le jour où j'ai débarqué en Australie. J'ai récupéré ma valise et j'ai cherché dans la salle des arrivées mon frère jumeau que je n'avais jamais vu. J'avais un peu peur et en même temps, quand je l'ai vu, tout est allé mieux. Un grand sourire s'est épanoui sur mon visage et quand je suis arrivée près de lui, la première chose qu'il a fait c'est me faire tournoyer dans les airs, me serrant dans ses bras à m'en briser les côtes. C'est comme ça que j'ai su que tout irait enfin bien. Tout était comme je l'avais imaginé et ça me faisait plaisir. Bon, j'avoue, le jour où il m'a proposé de rester vivre à Cooktown est aussi un de mes plus beaux souvenirs mais ça n'égalera jamais ces retrouvailles après 20 ans de séparation...
• Si vous aviez l'opportunité de remonter le temps, quel événement de votre vie changeriez vous ? Facile ! Le jour de notre adoption ! Je n'en ai jamais voulu à ses parents d'avoir adopter Nohann plutôt que moi. Deux bébés adoptés en même temps, ça doit quand même faire une grosse charge d'un coup sur les épaules. Sauf qu'ils auraient tout de même pu rester en Californie pour que je puisse connaître mon frère avant mes 17 ans... J'avoue que quand je l'ai appris, j'étais d'abord jalouse qu'ils aient adopté mon frère plutôt que moi et que j'ai du me farcir cette vie pourrie mais j'aurais surtout aimé qu'on ne nous sépare pas alors si je pouvais remonter dans le temps, je ferais en sorte qu'on nous adopte tous les deux ou qu'on ait une mère différente qui ne nous abandonne pas et ne soit pas droguée jusqu'au cou...

• Vivant dans une petite ville côtière, aimez-vous vous aller nager ou profiter des plages de Cooktown ? Bien sûr ! Là où je vivais avant, je ne pouvais jamais aller nager alors que j'adore ça. Dès que je pouvais m'échapper, j'allais à la piscine piquer une tête. Ça me calme de voir la lumière danser à la surface de l'eau quand je suis en dessous... Niveau plage, disons que tant que les touristes ne m'envoient pas tout leur sable dans les yeux, ça va.
• Avez-vous déjà assisté à un phénomène étrange ou surnaturel ? Ça dépend ce qu'on entend par là... Parce que oui, j'ai assisté à des choses très étranges dans ma vie. Vous avez déjà entendu parler de gens qui ne se lavent pas et adorent porter les mêmes vêtements ? Ben ça, moi, ça me dépasse ! Après, y a aussi les gens qui ont des manies bizarres mais je pense que c'est bien tout.

justaddwater.com

«14 Février 1989»

On dit que toute naissance est un bonheur. Faut croire que dès le départ, j'ai décidé de ne pas faire les choses correctement. Mon père. Inconnu au bataillon. Ma mère. Droguée. Sympa la famille, hein ? D'ailleurs, je suis sûre que c'est la faute de ma mère si j'ai cette maladie cardiaque... Mais à quoi bon continuer de la tenir responsable ? De toutes manières, elle n'en a rien à faire de moi alors pourquoi m'en préoccuperais-je ? Enfin bref.
Je suis donc née dans une petite clinique de rue, rien de bien pompeux. Ma mère est arrivée, a accouché de deux beaux jumeaux et est repartie sans nous, comme si on existait pas. Quelques jours plus tard, mon frère jumeau de cinq minutes mon cadet a été adopté et moi, j'ai été placée en orphelinat jusqu'à ce que je sois assez grande pour aller en famille d'accueil. On m'a appelée Shaelynn. Ma première famille d'accueil s'appelait Lotterer et j'ai hérité de leur nom de famille ainsi que du second prénom Gabrielle. C'est sûrement la plus gentille famille que j'ai connu... J'y suis resté jusqu'à mes six ans et j'y étais plutôt heureuse sauf que tout a commencé à se compliquer. Cette année-là, mon père adoptif a eu une promotion et a du déménager. Sauf que sa femme était enfin enceinte et ils ne pouvaient pas m'emmener. Alors on m'a trouvé une nouvelle famille d'accueil et c'est là que les ennuis ont commencé.

«2005»

«Tu n'as pas le droit ! Tu n'as pas le droit de me faire ça ! Tu n'es pas ma mère !»«Tu n'as pas de mère petite imbécile alors en attendant, tu m'obéis !»«Jamais !» Je claquais la porte et m'enfuis en courant. Depuis mes six ans, aucun de mes foyers n'avait été correct. La première fois, le père était alcoolo et me battait à la première occasion. J'ai fini à l'hôpital et c'est d'ailleurs à ce moment qu'on m'a diagnostiqué ma maladie cardiaque. Du coup, les familles ne se sont pas poussées au portillon vu les soins que cela sous-entendait. Mais à chaque fois, l'assistante sociale finissait par me placer sauf qu'à chaque fois, je me débrouillais pour qu'ils finissent tous par me virer de chez eux. Un coup je séchais les cours pour aller me balader en ville, l'autre je me débrouillais pour me faire haïr et insulter devant l'assistante sociale passée sous mes conseils... J'étais très imaginative et je suis sûre que c'est grâce à toutes ses familles que je suis devenue aussi créative. En fait, je devrais peut-être les remercier...
Toujours est-il qu'à 16 ans, j'en avais marre. Je voulais faire autre chose de ma vie que de continuer d'être le boulet que l'on trimballait de foyer en foyer, de famille en famille. Alors j'ai commencé à me calmer. On m'a trouvé une autre famille et je me suis fait la promesse d'y rester tranquille jusqu'à ma majorité. Deux petites années. Je pouvais bien faire ça. Heureusement pour moi, ce n'était pas la pire famille que j'ai eu. Il suffit de voir celle juste avant. J'avais claqué sa porte sans même un aurevoir, ne l'avais jamais revu et m'en portait très bien. Cette garce se prenait pour la chef rien que parce qu'elle avait recueilli l'équivalent d'une fratrie des années 50 au temps où les préservatifs n'existait pas et que tout le monde voulait des familles de dizaine d'enfants... Tout ça pour toucher les aides sociales. Elle me dégoûtait alors avec ma nouvelle famille, j'étais surtout contente qu'ils me laissent tranquille du moment que je me comportais bien, allais en cours et travaillais correctement. Nous étions quatre. Eux, leur bébé et moi. J'étais tranquille et ça me faisait du bien. Les deux années allaient passer vite et ça, ça me rassurait.

«13 Août 2006»

«Allo ?»«Oui... Je suis bien chez Mlle Shaelynn Lotterer ?»«Hmmmm... Oui c'est moi. Il y a un problème ?»«Non, non. Je suis Nohann Harper et je... Je crois que tu es ma soeur jumelle.» Je crois que je lui ai ris au nez à ce moment là. D'accord, j'avais été abandonnée par ma mère et tout mais avoir un jumeau, on ne me l'avait jamais faite celle-là ! Sauf que malgré mon éclat de rire, le jeune homme à l'autre bout du fil a continué son délire... Mais ça n'avait pas l'air délirant DU TOUT. Même date de naissance à cinq minutes près, même hôpital, même groupe sanguin. Bon, ok, ça ne faisait pas tout d'être nés de mère et de père inconnus mais pour le coup, il avait aussi la même maladie cardiaque que moi... Qui était héréditaire. La cerise sur le gâteau ! J'avais 17 ans et j'apprenais que j'avais un frère jumeau. Qui vivait à l'autre bout du monde. Ca c'était tout de suite plus embêtant alors j'ai préféré ne pas y croire au début... Il voulait un test sanguin en plus. Moi et les piqûres, on était pas copines copines mais ma famille d'accueil a pensé que ce serait peut-être une bonne idée de quand même le faire... Cherchaient-ils à se débarrasser de moi ? Je ne croyais pas pourtant... Mais je l'ai quand même fait ce test et je l'ai envoyé en Australie pour faire plaisir à Nohann qui paraissait tout de même gentil. Et puis deux semaines plus tard, j'ai reçu une lettre... Une lettre d'Australie. Je me suis enfermée dans ma chambre et l'ai ouverte, mains tremblantes.
«Chère Shaelynn,

Je te joins à cette lettre les résultats du test. Comme tu le verras, il est positif. Alors bien sûr, cela ne t'engage à rien mais voilà, on est bien jumeaux.

A bientôt j'espère,

Et la lettre ne mentait pas. Sur le test, c'était écrit très clairement que nous avions les mêmes gènes et les mêmes parents biologiques. Ma première réaction ? Déchirer le test. Pourquoi ? Parce que j'étais en colère. Il avait été adopté et moi, je m'étais farcie des familles toutes plus malades les unes que les autres. C'est alors que la mère de ma famille d'accueil décida d'arriver. On aurait dit qu'elle savait tout. «C'est positif pas vrai ? C'est ton frère...» Je hochais la tête, les larmes aux yeux. Elle passa un bras autour de moi et continua. «Tu sais Shaelynn, quand tu seras majeure, tu partiras d'ici. On le sait, tu rêves d'être libre. Mais ta famille sera toujours là pour toi même s'il a fallu 17 ans pour la retrouver. Maintenant, c'est à toi de choisir. Soit tu peux oublier l'existence de ton jumeau soit tu peux tenter le coup. La décision te revient.» Je n'oublierais jamais que c'est la seule fois depuis ma première famille d'accueil que quelqu'un a été gentil avec moi. Même si c'était la première et la dernière fois jusqu'à ce que je connaisse vraiment mon frère...
Toujours est-il que j'ai suivi son conseil. J'ai envoyé une lettre à Nohann pour lui demander s'il accepterait de me parler. Et c'est ainsi que nous avons appris à nous connaître.

«Juin - Août 2009»

NZK♦ said : Shaelynn ? Je dois te demander quelque chose. Je t'en supplie dis-moi que tu es là ! C'est important.
LYNN • said : Nohann, qu'est-ce qui se passe ? C'est grave ?
NZK♦ said : Non ... pas du tout.
LYNN • said : Crache le morceau ! Je te signale que ma vie est réduite !
NZK♦ said : La mienne aussi je te signale. Bref, je voulais savoir si deux mois en Australie te plairait ? Parce que sinon ... je t'envoie dès maintenant un billet d'avion.
LYNN • said :T'es sérieux ? Mais bien sûr que je veux ! Je ferais tout pour quitter cette endroit ! Alors, je ne vais pas refuser quelque chose comme ça.
NZK♦ said : Je savais que tu dirais oui ! Bref, je t'envoie ça et tu partiras dès que tu les recevras. J'ai hâte.
LYNN • said : J'ai hâte qu'on puisse enfin se voir, Nohann. Ca fait plusieurs mois qu'on discute et Skype, franchement, c'est plus amusant.
NZK♦ said : Je suis d'accord. Je te laisse, mon coeur ! Je vais à l'école maintenant. Je t'aime.

L'Australie. Mon frère. Ca me changerait de cet appartement miteux dans lequel je vivais depuis deux ans maintenant, depuis mes 18 ans. Ma dernière famille d'accueil avait raison sur ce point. Dès ma majorité, je les ai quitté bien que je les aimais bien. Je me suis trouvé des colocs pour vivre en appartement. Ça meuble les colocataires, même timbrés comme les miens. Une chose m'a permis de tenir pendant ces deux ans même si ce n'était qu'une fois par jour : les conversations avec Nohann. Quand je lui parle, tout redevient joyeux et normal, je peux être normale. Alors lui rendre visite, c'est la plus belle chose qu'on m'ait jamais proposé !
Durant le vol entier, je n'ai rien pu avaler. Et une fois arrivée de l'autre côté de la planète, je me sentais plus stressée que jamais. Je suivis les autres passagers hors de l'avion et allais prendre ma valise avant de rejoindre la salle de débarquement. Je regardais autour de moi, cherchant une grande tête blonde que je repérais assez vite. Je m'approchais de lui et soudain, mon ventre se détendit. Il avait un grand sourire et dès que je fus à sa portée, il me prit dans ses bras, me faisant tournoyer à en avoir mal au coeur. Il me reposa et je lui collais un bisou sur la joue. «Mais t'es belle en fait, va falloir que je te surveille !» Je rigolais et lui assenais un «T'es con toi !» Il me prit par l'épaule, j'attrapais ma valise et il m'emmena hors de l'aéroport dans l'air doux d'Australie. «Je suis content que tu sois là ! Je crois que j'ai attendu ton arrivée un peu trop longtemps.» «Moi aussi je suis contente d'être là !»
Mais deux mois ça passe vite. Trop vite même. Il ne me restait plus qu'une semaine à passer avec mon frère avant de retourner vivre avec cette bande de barjos à l'autre bout du monde, autant dire à des années lumière ! Je m'y étais faite moi, à la vie à Cooktown. Et il faut croire que Nohann s'était habitué à moi car, alors que nous mangions sur un restaurant de bord de mer, il me fit une proposition. «Shaelynn, j'aimerais que tu vives ici. Je n'ai aucune envie de te voir repartir ... reste s'il te plait !» J'en lâchais ma fourchette et manquais de m'étouffer. Rester avec lui ? C'était donc possible ? Sauf que le problème, c'était que ses parents étaient déjà gentils de m'avoir accueilli pendant deux mois alors me garder encore plus longtemps... Pas sûre que ça leur faisait envie. «Vivre en Australie ? Mais je n'ai aucun endroit pour dormir ... et ...» Nohann m'adressa un sourire espiègle et sortit un trousseau de clé qu'il me montra, les laissant pendouiller sous mon nez. «Tu vois ces clés ? C'est les clés de mon appartement, celui que j'ai acheté ... enfin que mon père m'a offert. Il est à nous à présent.» Je le regardais, ébahie. Je me levais et me jetais à son cou, manquant de le faire tomber. «T'es fou ! Si tu savais comme je t'aime, Nohann ! Je t'assure, t'es extraordinaire !»

«2012»

Et voilà. Ca fait maintenant trois ans. Trois ans que je n'ai plus jamais remis les pieds en Californie. J'ai appelé mes colocataires et on aurait cru qu'ils étaient aussi soulagés que moi... Mais oh ! C'était pas moi la plus bizarre franchement ! Mais qu'en avais-je à faire ? J'avais enfin trouvé ma place et je pouvais être moi-même sans me cacher. J'ai continué mes études de langues étrangères et ai même trouvé un petit boulot en tant que serveuse. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes !