• Avez-vous des rêves ou des espoirs pour le futur ? Depuis que j'ai cinq ans, environ, je rêve d'avoir une maison blanche que j'aurais acheté avec mon épouse, une femme blonde nommée Kimberley, un labrador du nom de Roger et trois enfants. J'irais couper du bois pendant que ma femme sera en cuisine, normal, entrain de préparer le diner. C'était ça, le plan de ma vie. Je te jure que j'ai toujours sur moi un petit carnet avec tout ça écrit noir sur blanc. Mais bon, la vie est une bâtarde, même avec les gens sans soucis, comme moi. J'avais pas trop mal réussi, jusqu'à mes vingt neuf ans. Peut-être que je peux encore espérer finir ma vie comme ça ? Ou peut-être que je crèverais sous un pont avec comme seule épouse, une chaussette, la terre ne s'arrêtera pas pour autant.
• Dans la vie, on a des hauts et des bas. Si vous deviez nous raconter le souvenir le plus heureux de votre vie, lequel serait-il ? Probablement le jour où j'ai rencontré ma femme. C'est cliché, mais je m'en fous. C'était à une soirée organisée par un ami que nous avions en commun. Je ne me souviens plus exactement les détails mais il semblerait que mon charme ait fonctionné, même avec trois grammes d'alcool dans les veines. D'autres auraient sûrement dit le jour du mariage mais j'ai vite réalisé que le mariage, ce n'est pas la meilleure chose possible, même pour un enfant du seigneur comme moi. Je ne parle pas de la vie maritale mais bien de la cérémonie en elle-même. Bon dieu, que je m'étais emmerdé. Je me souviens m'être enfilé le baril de bière pour noyé l'ennui. Ma femme aimait me voir en état d'ébriété, il parait que je suis un autre homme, totalement. C'est comme s'il était marié à deux hommes complétement différents, me disait-elle. Si c'est elle qui le dit.
• Si vous aviez l'opportunité de remonter le temps, quel événement de votre vie changeriez vous ? Peut-être le vingt-trois janvier d'il y a trois ans. Peut-être ? C'est con de supposer que je voudrais peut-être hypothétiquement changer le jour où ma femme est morte dans l'accident de voiture que j'ai moi-même provoqué par manque de vigilance. Je suis stupide parfois. Idiot.

• Vivant dans une petite ville côtière, aimez-vous vous aller nager ou profiter des plages de Cooktown ? Pas spécialement. Je suis venu en Australie à cause de mon travail et il se trouve qu'on avait besoin de mon cerveau à Cooktown précisément mais j'ai en horreur la chaleur étouffante de ce pays de plouc. Si on me voit sur la plage, ça serait uniquement le soir, là où l'air est respirable. Et je n'aime pas la foule écrasante qui se promène en slip de bains sous mes yeux pendant que j'essaye de cogiter sur ma paperasse de géologue. Je te vois hausser un sourcil ; « un vulcanologue qui n'aime pas la chaleur ? » C'est bête mais je préfère mile fois me retrouver au bord d'un volcan pour l'étudier plutôt que sur du sable qui me brûle les fesses et qui s'infiltre dans tous les recoins de mon corps.
• Avez-vous déjà assisté à un phénomène étrange ou surnaturel ? Absolument pas. Attends, tu es entrain de me dire que tu crois à cette légende locale sur les sirènes et autres trucs aquatiques bizarres ? A mon avis, tu devrais consulter. Un prêtre, pour t'exorciser ou un psychologue. Je trouve toujours une explication rationnel aux choses et les choses surnaturels n'existent pas. Je crois que l'Enfer avec un grand E existe et que tes sirènes, si elles existent elles aussi, doivent certainement venir de là.

• Que pensez-vous des découvertes récentes et inhabituelles dans les fonds du Pacifique près de Cooktown ? Certes, c'est inhabituel. On m'a fait venir d'Irlande parce que les résultats de certains scientifiques démontraient l'implication de roches volcaniques et autres minerais qui sont ma spécialité, étant donné mon diplôme de géologie, spécialisé en vulcanologie. Mais pour l'instant, je ne peux émettre aucune hypothèse tant que je n'ai pas analysé moi-même ses fonds marins près de cette île isolé. Tout à une explication, dans ce monde. Peut-être un volcan sous-marin ? Je trouverai. Je trouve toujours.
• Avez-vous l'intention de dévier de vos ordres de recherches pour creuser cette nouvelle piste ? Non. On me fait venir dans le trou-du-cul du monde, on me fait quitter ma chère et tendre Irlande natale avec sa pluie et sa verdure pour m'amener dans cette ville aride et en plus, on me paye pour que je suive la piste logique de ces résultats. Après, si mes propres recherches me font dévier des ordres préliminaires, oui, je m'orienterais d'une autre manière. J'ai entendu l'autre jour un de mes collègues, tout du moins je ne pense pas qu'il ait l'esprit très scientifique, parler de sirènes et de bassins magiques. Juste pour m'amuser, je vais me faire une joie de lui briser ses rêves en lui prouvant scientifiquement que ça n'existe pas et que c'est probablement un volcan pas encore découvert qui est la cause de tout ce bordel.

« Et n’oublies pas d’emmener ton frère avec toi voir les feux d’artifices, Nemo. » Je m’arrête, un biscuit dans la bouche, les joues arrondies comme celle d’un hamster. Je pivote sur mes talons pour regarder ma mère d’un air désabusé. « Ouais, ouais. » Adolescent de base.
Non mais tu as vu la façon dont il la regarde et il lui répond ? J’aurais été à la place de la matriarche, je lui aurais fait un plaquage suivit d’une prise de catch pour lui apprendre la vie à cette loque humaine pleine de boutons. Mais retournons à l’histoire. Oh et ce jeune impudent en train de muer, c’est moi, le narrateur. Je joue plein de rôles, alors taches de suivre, lecteur bien aimé. Mais souviens-toi d’une chose, tout marche très bien depuis. Tu comprendras dans quelques lignes.

Je monte les escaliers en bois de la bâtisse familiale. Ce n’est pas une grande maison, juste de quoi y faire vivre sans se marcher dessus quatre personnes et un chien. Nous ne sommes pas spécialement riches. Une famille irlandaise ordinaire. La chambre de mon petit frère de deux ans mon cadet est à côté de la mienne. Nous n’avons pas beaucoup d’années d’écart et il me ressemble comme deux gouttes d’eau, les gens ont souvent tendance à nous confondre ou à nous prendre pour des jumeaux. Oui, à ce point-là. Mais je suis tout de même beaucoup plus attirant que lui. Et je suis plus âgé. Je finis d’avaler le gâteau qui me servait de petit-déjeuner et de déjeuner quand l’escalier prit fin. La porte de la chambre de Jack est fermée. C’est étrange puisqu’il ne la ferme jamais sauf le soir quand les parents sont couchés pour regarder des cassettes pour adultes sur sa petite télé en pensant qu’il est discret. Je fais trois pas et me voilà devant la porte. Quelques bruits étranges me parviennent à l’oreille, comme des chuchotements. C’est que mon frère deviendrait schizophrène ?

Je frappe une fois. Toc Toc. Comme si je sonne le glas de l’apocalypse, j’entends des choses tomber sur le sol et les chuchotements se sont arrêtés pour faire place à deux voix bien distinctes. Je suis collé à la porte tel un espion entrainé parce que je suis intrigué. Il a ramené une fille dans sa chambre alors que les parents sont là ? Rebelle. Je veux savoir. Je tourne la poignée et entrouvre légèrement la porte avec un sourire digne des plus grands trolls de l’histoire d’Irlande. « Alors, petit frère, on se fait as... » J’ouvre grand les yeux. « ti… » Ma bouche est ouverte aussi. « quer … ? » Je laisse tomber mes bras le long de mon corps alors que la porte continue de s’ouvrir seule en grinçant. « Euh, c’est pas du tout ce que tu crois… Nem.. » Il n’a même pas le temps de finir sa phrase que je m’enfuis, pas en hurlant mais presque, je descends les escaliers à toute allure et j’enfile mes baskets trouées pour sortir de chez moi, vitesse grand « V ».

Je t’épargne le sprint de trois kilomètres que je me suis tapé par la suite, désespéré, je faisais de la course au lycée, ça m’a aidé à fuir cette vision cauchemardesque. Ah putain. J’ai oublié de raconter ce que j’avais vu dans la chambre de mon frère. Qu’il est nul ce narrateur, putain. En même temps, à chaque fois que je me remémore cette scène, j’essaye d’oublier. On ne sait jamais, je peux faire une rechute juste en y repensant. Mais je tiens encore à la préciser, tout marche nickel depuis. J’avais un meilleur ami depuis le collège. Des années qu’on se fréquentait. On trainait souvent ensemble et même s’il était très tactile avec moi, je pensais juste que c’était sa façon de manifester son amitié pour moi. Vas-y que je te fais un câlin surprise gratuit ou que je t’ébouriffe les cheveux tous les jours. De toute manière, à part une amitié virile, ça ne pouvait pas être autre chose. Hé bien, il semblerait que ce meilleur ami dont je ne prononcerais pas le nom était amou… am… a… J’y arrive toujours pas. Bordel. Ce type ressentait des trucs qu’il ne faut pas ressentir pour son pote. Alors lecteur, as-tu résolu le mystère qui se cache derrière la scène de la chambre ? Souviens-toi. Mon frère me ressemble terriblement. En plus jeune, certainement moins intelligent et plus faible. C’est bon, tu vois le tableau ?
Mon meilleur ami jouait au docteur avec mon petit frère. Cette vision m’a hanté pendant quatre ans. Quatre longues années d’impuissa… Non mais c’est fini aujourd’hui.