Ce matin, je m’étais réveillée avec une bonne résolution en tête : celle d’essayer de m’entendre avec Wilhelmina. Oui, essayer, parce que Dieu savait à quel point il était difficile parfois d’arriver à la supporter. Oh bien sûr, je suis certaine qu’elle peut être gentille, mais il fallait qu’elle le veuille, et elle ne montrait pas son bon fond tous les jours. Je pense que si Meghan n’avait pas été son amie, je n’aurais même pas fait l’effort. Mais comme ce n’était pas le cas, je devais essayer de la comprendre, surtout en ce moment. Je veux dire, la pauvre, devoir nous supporter, Wilhelmina et moi, presque tous les jours pendant nos entraînements, ça ne s’avérait pas être une tâche des plus simples. Les piques et disputaient s’enchaînaient et il n’était pas rare que Meghan finisse par s’énerver contre nous. Comme je venais de la retrouver, je ne voulais surtout pas la perdre à nouveau. Ainsi donc, j’avais décidé de faire un effort en ce jour du trois juillet. Sauf que c’était assez mal parti vu mon premier texto à Wilhelmina… Et les suivants aussi d’ailleurs. J’ai du prendre sur moi pour rester calme, et ce n’est pas toujours simple quand on la connaît et qu’on sait qu’elle n’hésitera pas à attaquer sur certains points. Finalement, la conversation téléphonique s’était terminée positivement à mon plus grand contentement, même si elle avait piqué ma curiosité en m’avouant héberger un colocataire à partir du lendemain. Mais bon, on parlera de ça plus tard. Personnellement, je trouvais que c’était une mauvaise idée pour une jeune fille d’héberger un garçon, mais c’était mon opinion, je savais très bien que Wilh était assez ouverte de ce côté-là. Moi, je préservais ma vertu, et j’en étais fière, ce qui, pour elle, était un sujet de taquinerie. J’espérais qu’elle n’allait pas me prendre la tête avec ça d’ailleurs. Je me préparais donc pour la retrouver sur l’île Mako. Ainsi donc, je prenais tout ce dont j’avais besoin – à savoir plusieurs essuies dans un sac – avant de sortir de mon appartement. Une chance que je travaillais de soir, je n’avais donc pas à m’en faire pour le boulot. D’ailleurs, j’envisageais de le changer parce que caissière au supermarché, ça ne gagnait pas grand-chose, juste assez pour le loyer et la nourriture… Peut-être devrais-je penser à changer mon studio et y emménager une chambre à la plage ? Ainsi, le prix de l’appartement coûterait deux fois moins cher ? Je garderais cette idée en tête. Un coup d’œil à ma montre m’indiqua que j’avais encore tout mon temps pour arriver sur l’île, mais je préférais déjà m’y mettre en route. Je pourrais passer un peu plus de temps auprès de mes amis les poissons et les dauphins – et les requins par la même occasion, mais eux, je ne peux pas vraiment les considérer comme des amis.

Une petite brise maritime vint effleurer mon visage tandis que j’enlevais mes chaussures. Mes pieds nus allèrent alors se poser sur les grains de sable, les soulevant à chacun de mes pas. Doucement, prenant tout mon temps, j’essayais de paraître normale et non pas excitée comme je l’étais intérieurement. Je m’avançais vers un coin reculé de la plage, à l’abri de tout regard, le plus discrètement possible, sans pour autant être flagrante. Enfin, j’arrivais sur cette partie de la plage où personne n’y mettait jamais les pieds. Je déposais mes affaires contre un rocher, fourrais mon téléphone portable dans mon sac, enlevait mon débardeur pour me retrouver en bikini-bustier et short. Avec précaution, je me dirigeais vers l’océan. Un regard à droite, un regard à gauche. Une fois sûre que personne ne m’apercevrais, je m’avançais doucement. À peine avais-je touché l’eau que je me sentais déjà changée. Dix secondes. Il ne fallait que dix secondes pour que le charme n’agisse et qu’enfin, une nageoire vienne prendre la place de mes jambes. 3 secondes Je me plongeais totalement dans l’eau, fermant les yeux. Quand je les rouvrais, ma vision se fit claire, comme si j’étais encore sous la terre ferme. Je n’eu pas besoin de regarder en arrière, je savais que ma queue de poisson avait pris place et mes vêtements disparus. Un coup de nageoire me propulsa à des mètres. Encore un avantage d’être une sirène : une vitesse phénoménale. Il ne me fallu donc pas longtemps pour arriver au lieu de rendez-vous. Sauf que, comme prévu, Wilhelmina n’était pas encore là – vu l’avance que j’avais pris. Ainsi, je me décidais de passer un peu plus de temps dans l’océan, continuant mon exploration des fonds marins. Toutes ces couleurs m’inspiraient un peu plus chaque jour, et je me retrouvais toujours devant ma toile avec des idées à en perdre la tête. Finalement, peut-être devrais-je penser à la remercier pour nous avoir entraînées ce soir-là ? Non… Parce que même si les avantages étaient nombreux, les inconvénients, eux, étaient plus importants. Notamment le fait de ne plus pouvoir parler à une certaine personne… Non, n’y pensons même pas. Un coup de nageoire et je me retrouvais encore un peu plus en profondeur. Je m’y sentais bien. Et je vagabondais en compagnie des poissons de toutes les couleurs, m’extasiant comme au premier jour à la vue des coraux de toutes formes, et aussi des poissons-clown qui me faisaient tous penser à Nemo… D’ailleurs, je n’avais encore jamais vu de Dory… Enfin bref. Tout à coup, la bande de poisson qui m’entourait disparu. Je fronçais alors les sourcils et me retournais. Et voilà un gentil petit requin dont les dents me faisaient frissonner. Je n’aimerais pas me retrouver comme son repas de midi – ou même le devenir. D’un autre coup de nageoire, je me dépêchais de me retrouver à l’abri sur l’île. Wilhelmina n’était toujours pas la. Je soufflais. Rapidement, je me hissais jusqu’au sable fin, à l’abri de l’eau, attendant la voie libre avant de me diriger vers un coin caché entre des rochers, là où nous avions l’habitude de nous y rendre et de nous y retrouver. Il ne fallu que quelques minutes de plus pour que cette dernière arrive. « Je ne t’ai pas trop fait attendre ? Bien. On se dépêche tu veux, je travaille cet aprèm. » Charmante comme toujours. Un sourire s’afficha tout de même sur mes lèvres. Au moins, elle était arrivée à l’heure. Et la petite ligne qui soulignait ses lèvres m’étonna, mais j’étais contente. « Pas de problème. Tu es prête ? Parce qu’on ne va pas chaumer alors concentres-toi déjà. » À peine avais-je fermé la bouche que je pris un petit caillou. Je me focalisais alors dessus pendant quelques secondes. Je ne cillais même pas, j'essayais de le visualiser dans mon esprit, le voir fondre, couler entre mes doigts. Et c'est ce qui arriva. Doucement, la petite roche se mis à se dissoudre sous mon regard insistant. Ou plutôt, elle se mis à fondre, prenant une couleur transparente telle que l'eau, pour finir par devenir comme telle et couler entre mes doigts. Oui, la liquéfaction était le pouvoir que j'avais hérité le jour de ma transformation. Si au début, s'en étais incroyablement dérangeant, maintenant que je le contrôlais un peu plus, je n'avais plus vraiment à craindre de tout transformer en eau sous mon touché. Je souris alors, satisfaite, avant de lancer un regard autoritaire à Wilhelmina. En gros. Magnes tes fesses vu que t’es si pressée.

Comment en sommes-nous arrivées là Wilhelmina ? Pourquoi ne sommes-nous jamais devenues amies ? Est-ce parce que tu m’avais pris Meghan ? Ou est-ce que notre relation conflictuelle remontait à encore plus tôt ? Et si c’était le cas, qu’avais-je fait ? Ou pas fait ? J’aurais voulu savoir. Peut-être était-ce à cause de toutes ces rumeurs que j’entendais sur toi ? Peut-être était-ce la raison pour laquelle je ne me suis jamais approchée de toi ? Pourtant, je ne suis pas du genre à juger les autres sur ce qu’on raconte sur eux. Alors pourquoi était-ce différent avec toi ? Peut-être parce que j’avais toujours senti cette menace, celle qui me disait intérieurement de faire attention à toi ? Et peut-être était-ce idiot, peut-être est-ce à cause de ça que nous nous comportions ainsi l’une avec l’autre. Je regrettais. Quand je disais que je voulais vraiment apprendre à la connaître, devenir son amie, c’était la vérité. Car je ne voulais plus avoir de remords, car je voulais vraiment me faire une idée de celle qu’elle était dans le fond, celle que seule Meghan connaissait. Et l’occasion s’était présentée. Maintenant, il fallait que j’essaie et que je réussisse. Car ce sera un soulagement pour tout le monde.
 
Mon pouvoir n’était pas vraiment pratique. En effet, liquéfier tout ce que je touche comportait beaucoup de risque, notamment celle de devenir une sirène si je ne me sèche pas assez vite. Et je dois dire qu’au début, j’en ai souffert de cet inconvénient. C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai tout fait pour maîtriser cette capacité au plus vite. Je ne voulais pas me transformer en plein travail. D’ailleurs, là aussi je devais faire attention, surtout quand le client dépose un sachet tout juste sorti des frigos, avec des gouttelettes d’eau qui pourraient dégouliner. Bref, je devais faire attention partout et ça ne m’enchantait guère. Par contre, je me suis toujours demandée s’il était possible pour moi d’arriver à liquéfier les objets que je ne touchais pas, mais avec un simple regard et – beaucoup – de concentration. Je devrais essayer d’ailleurs. Sauf que pour le moment, je préférais me concentrer sur Wilhelmina. Je la regardais donc froncer les sourcils en signe de concentration, sur les gouttelettes glissant doucement sur les écailles dorées de ta queue de poisson. Je la regardais lever son doigt sans pour autant lever son regard ou même sa concentration. La voir ainsi me fit sourire. Elle y mettait vraiment du cœur et je ne pouvais qu’apprécier. Tout doucement, les gouttes montaient sous son regard qui s’élevait de plus en plus. Et c’est alors que je remarquais ce qui se passait aux alentours. Des dizaines, centaines, milliers de petites perles d’eau s’élevaient en même temps. J’étais émerveillée. Le regard brillant, je regardais ce qui se passait autour avant de poser mes yeux admiratifs sur Wilh. Et c’et là que je me rendais compte, à quel point elle était incroyablement puissante. Puis, tout s’arrêta. Les gouttes d’eaux explosèrent en mille, comme un véritable feu d’artifice. Et là, en croisant son regard, je ne pus m’empêcher d’applaudir, un grand sourire aux lèvres. « C’était vraiment merveilleux. » Elle avait certes perdu le contrôle de son pouvoir, mais je ne pouvais vraiment pas le lui en vouloir. Après tout, je venais d’assister à un spectacle unique, un spectacle que jamais je ne pourrais oublier. Si seulement Jonah était à mes côtés en ce moment-même, il en aurait été encore plus émerveillé. Penser à lui me fit mal au cœur et sans m’en rendre compte, mon sourire se fana légèrement et mon regard se voila. Finalement, ce fut Wilh qui me tira de mes sombres pensées. « Je penses que notre entraînement est terminé, à moins que tu veuille qu’on apprenne à nager, mais je doute que ce soit très utile. » Elle avait raison. La voir en nage me montrait qu’elle ne pourrait plus continuer à user de son pouvoir. Et puis, nous n’avions pas besoin d’apprendre à nager, ça venait tellement naturellement, c’était notre nature. Et alors que j’allais ouvrir la bouche pour acquiescer, elle me devança. « Toi et Harris, vous étiez vraiment proche. J’admirais ça, parce que tu avais qu’un qui t’aimais. Et tu avais quelqu’un que tu aimais. Ne fais pas l’innocente, je le voyais à vos regards échangés. Bref. Il m’accuse de vous avoir séparés tout les deux, et d’une certaine façon, je suis consciente que c’est de ma faute. Parce que si nous sommes devenues ce que nous sommes aujourd’hui, c’est de ma faute. » Je la regardais alors, les yeux écarquillés. Ce qu’elle venait de me dire m’avait surpris au plus au point. Si je m’attendais à ce qu’elle me dise ça un jour… Parler de Jonah me faisait mal, surtout avec elle. Parce qu’elle avait raison, c’était de sa faute, mais c’était aussi de la mienne, parce que je m’obstinais à le rejeter, encore et encore. Je ne voulais pas, mais elle ne pourrait pas comprendre… « Mais si tu l’écartes de ta vie à cause de notre secret, je pense que tu détruits peu à peu ta vie Scott. Parce que notre secret ne devrait pas être plus fort que ce qu’on ressens pour nos proches.»  Elle ne comprenait pas, elle ne savait pas ce que c’était que de s’éloigner ainsi de la personne que vous aimiez le plus au monde ; elle ne savait pas tous les efforts que je faisais pour moi, pour Meghan, et même pour elle. Et pourtant, ce qu’elle venait de me dire semblait m’ouvrir un peu plus les yeux. D’ailleurs, des perles d’eau étaient montées, se fixant à mes cils, menaçant de couler au moindre battement. Et d’une voix faible, je m’ouvrais à elle, pour la première fois de ma vie. « Mais je ne peux pas… Je ne peux plus rester près de lui. Si jamais il découvrait ce que je suis devenue, je ne pourrais pas le supporter. Et lui non plus. Il va vouloir s’acharner à trouver un moyen pour tout régler, je le connais. Il ne me regardera plus de la même façon… Et j’ai peur de ça Wilh… J’ai peur qu’il change de tout au tout s’il apprenait. » C’est la première fois que je me confiais à elle, et je me sentais bien. C’était également la première fois que je l’appelais par son prénom. Non, son surnom même. Et en cet instant, j’avais l’impression que quelque chose avait changé entre nous, aussi infime soit-elle.