« Tss, poule mouillée. » En passant près d’elle, ma main adresse une tape ferme sur les fesses de la blondinette. Devant nous se dresse un amas de rochers plus ou moins pentus et escarpés ; les parois sont agressives, érodées en pointes par les vagues qui viennent s’écraser là ; sombres, brillantes d’éclats argentés, elles surplombent la mer de quelques mètres d’où il vaut mieux ne pas tomber. Cassiopée et moi nous tenions devant ce spectacle depuis quelques minutes ; des centaines de gouttes venaient nous asperger à chaque vague que la roche fendait en deux. C’était comme si, en ce lieu précis, il pleuvait à chaque minute de chaque heure de chaque jour de l’année. Magique. J’avais proposé à Cassy de grimper là-haut. Ce qui implique de poser nos mains nues sur l’amas de verre pilé que constituent ces énormes rochers. Je n’en ai pas peur, certain d’arriver au sommet en un seul morceau. Il existe bien un petit chemin de terre qui remonte la pente de terre séparant la plage de la forêt du jardin botanique. Mais ce serait tellement moins amusant que de trouver le moyen de grimper de nous-même. Sans plus attendre la jeune femme, je pose un premier pied sur la paroi, puis une main. Les pierres sont froides, terriblement rugueuses. D’une impulsion sur ma jambe, je pose mon second pied un peu plus haut. Mon autre main tient ma bière entre deux doigts. N’importe qui passant par-là me prendrait pour un inconscient que l’on retrouvera mort demain, le crâne écrasé sur la roche, le cadavre caressé par les vagues. J’arrive à un palier sans dégâts. « Bon, tu te bouges, ouais ? File ta main. » Je me penche un peu en avant et lui tends mon bras. Elle s’y accroche et grimpe à son tour. Le même cycle reprend une ou deux fois, jusqu’à ce que nous arrivions assez haut au -dessus des vagues, sur un rocher assez plat pour s’assoir. Là, je me laisse tomber assis, sur mes deux fesses. Riant de mes propres bêtises. « Voilà ! Et t’es toujours en un morceau. » Je lui adresse un large sourire et l’invite à s’assoir, avant de décapsuler ma bière avec un coin de rocher et d’en prendre une gorgée. Mon regard glisse sur les vagues qui s’écrasent violemment, puis le long de la surface grise de la mer qui se calme et s’adoucie peu à peu, jusqu’à l’île au fond du paysage, son grand volcan, mystérieux. Je soupire, me revoyant coincé dans l’un de ses grottes sous-marines. Putain, j’en peux plus de ces images qui reviennent en permanence. Ca fait une dizaine de jours maintenant, je devrais en rire. Et pourtant, je suis encore perturbé. Faut que je me reprenne, y’en a marre.

Non pas que je sois fier de moi –il n’y a aucun mérite à tirer à jouer les inconscients si ce n’est que de constater que notre connerie ne nous a pas encore coûté la vie. Je suis néanmoins visiblement bien content d’être parvenu jusqu’en haut de l’amas de rochers. Je ne m’occupe même pas de mes mains écorchées, les quelques gouttes de sang déjà sèches qui tâchent discrètement mon jean qui avait manqué de peu de se déchirer en frottant à la paroi. Forcément, les minuscules plaies incrustées de poussière et de cailloux me brûlent un peu, mais je ne compte pas m’en plaindre. Je me contente d’ouvrir ma bière, tranquillement, comme si je me trouvais dans un confortable canapé dans un salon. Assis en tailleur, j’observe le paysage sans rien dire, sans répondre à la question rhétorique de la blondinette, apparemment agacée par ma bêtise. J’en souriais, tout au plus, intérieurement. Après tout, elle m’a suivi, et elle reste même. Quoi qu’il serait idiot de manger de s’embrocher sur les rochers histoire de gueuler un petit coup et repartir ensuite. Ah tiens, un détail auquel je n’ai pas songé. La descente, lorsqu’il faudra partir. Cela risque d’être épique, et amusant. Dangereux, surtout. Mais amusant. Cassiopée me sort de mes pensées en me prenant la bouteille en verre de mes mains. Je fronce les sourcils, mais me console avec le paquet de cigarettes qu’elle me lance sur les genoux. « T’avais la trouille de monter ici parce qu’on pourrait se casser la gueule en tombant. Mais crever à petit feu à coup de nicotine, pas de problème. Hein. » fais-je pour souligner l’absurde de la situation avec un sourire moqueur. Quand on est prêts à s’en remettre à la chance pour ne pas finir comme un légume cancéreux dans dix ans, je ne vois pas l’intérêt de craindre pour sa vie en escaladant quelques rochers. La seconde option est même préférable à des années d’agonie surmédicalisée. Donc, de quoi se plaint-elle, au juste ? J’hausse les épaules et tire une cigarette du paquet. Dans un ‘clic’, une flamme apparait au-dessus du briquet. Après une première bouffée de tabac, notre fumée s’ajoute aux nuages qui menacent de déverser leurs larmes sur nous. Puis, je récupère ma bière suite aux gorgées que Cassiopée m’a extirpé. Celle-ci me pose la question la plus ridicule qui soit lorsque l’on se trouve dans cet endroit. Pourquoi l’ais-je trainé jusqu’ici ? « Pour faire un ping-pong. » je réponds avant de boire une mince gorgée, les yeux roulant au ciel, comme exaspéré. Nous sommes deux paumés armés d’une bière et d’un paquet de clopes pour deux, qu’est-ce qu’elle veut qu’on vienne faire ici à part boire et fumer ? « Tu portes bien ta blondeur, décidément. » j’ajoute aimablement, avec un sourire sarcastique, mais loin d’être méchant. Quoi que personne ne soit capable de dire si je suis sérieux ou non lorsque je lance ce genre de phrases, et de ce fait, personne ne devine lorsque je plaisante. « Je sais pas, j’aime ce perchoir. Le côté brut du paysage. » Et puis, pourquoi y aurait-il besoin d’une raison valable à toutes les conneries que je peux faire ? Je cesse donc mon explication là. Je ne vais pas non plus me mettre à déblatérer des kilomètres de mots sur la carte postale; du fait que je trouve fascinant de voir les vagues s’écraser contre les rochers, l’eau s’élever, puissante, violente, et retomber en fines gouttelettes qui iodent l’air, entendre leur crash, bruyant, envahissant l’espace sonore, et ce contraste joliment dégradé entre ce spectacle-ci, et l’horizon si calme, plat. Non, elle me prendrait pour un dingue. Elle prendrait peur, la mignonne. « Et ici, tu seras moins tentée de me faire chier. Sinon, t’iras dire bonjour aux bigorneaux, en bas. » J’ajoute avec un haussement d’épaules. « Je blague, hein. » Vu qu’il faut le préciser.