• Avez-vous des rêves ou des espoirs pour le futur ? Quand on est gamin, on a pas mal de rêves un peu stéréotypés. Les filles veulent devenir maitresses ou dresseuses de chevaux, poneys et licornes et les garçons veulent devenir docteur ou astronaute. Il y a aussi le stade paléontologue pour ceux qui ont vu Jurassic Park ou super-héros pour ceux qui connaissent Iron-Man ou autre Batman.
Perso je suis resté bloqué sur le coup de l’astronaute. Enfin pas exactement. J’ai un peu le vertige donc pas question de monter là-haut, surtout si une certaine forme de vie avec le sang acide et une bouche-ception décide de se pointer. Ce qui me branche, c’est de regarder dans un télescope et de percer les mystères de l’univers (ça fait un peu titre de nanar mais je vous ai pas demandé votre avis). Donc ouais, le métier que je vise est aussi le rêve que j’ai en tête et auquel je me raccroche.
Dit comme ça, ça fait un peu gamin mais c’est la vérité. La vérité vraie, même. Et paf.
• Dans la vie, on a des hauts et des bas. Si vous deviez nous raconter le souvenir le plus heureux de votre vie, lequel serait-il ? C’est difficile comme question, j’ai pas mal de souvenirs heureux mais là, comme ça, cash, c’est un peu surprenant. Laissez-moi réfléchir deux petites secondes… … non mais plus de deux secondes, aah, c’est une expression !
Nan sérieusement, je peux pas vraiment choisir. Beaucoup de moments que j’ai passé avec ma mère, je suppose. Je vais pas vous sortir le cliché de « mon plus beau souvenir, c’est quand j’ai reçu mon premier télescope à Noël quand j’avais sept ans, emballé dans un papier avec des poussins dansants dessus », ça ferait beaucoup, non ? Cela dit c’est vrai que j’étais content.
Hum. Plus sérieusement, ça y est. J’ai trouvé. Le truc qui m’a le plus chaud au cœur de toute ma vie, je crois, s’est passé l’année dernière. « Je suis fière de toi », m’a dit ma mère. Je vous jure que je me suis mis à chialer comme une fillette dès que j’ai passé la porte. De joie, c’est clair.
Le souvenir le plus heureux, hein. Ce souvenir me laisse aussi un goût plutôt aigre. Mais ce n’est pas incompatible je suppose.
• Si vous aviez l'opportunité de remonter le temps, quel événement de votre vie changeriez-vous ? Bon alors déjà ça c’est pas une bonne idée. Vous avez jamais vu l’Effet Papillon ou Minority Report ou quoi ? Faut pas faire ça, c’est pas bien. Sinon un flan géant orange dégueulasse viendra tout péter quand vous chercherez à réorganiser tous ces paradoxes. Je vous jure que j’invente pas.
Ok ok ma gueule. Mais comment je fais pour vous raconter quoique ce soit si je dois la fermer, hein ? Donc je l’ouvre. Tant pis pour vous.
Si je devais changer un évènement de ma vie, ce serait le moment où ma chère mère (oui encore elle) a commencé à fumer, ou plutôt le moment où elle a commencé à trop fumer. Oui parce que comme vous vous en doutez ça a mal fini. Mais sortez pas les violons, j’aime pas ça. Top, on change de sujet.

• Vivant dans une petite ville côtière, aimez-vous vous aller nager ou profiter des plages de Cooktown ? C’est sympa la mer. Je l’avais jamais vue avant d’arriver ici, donc forcément je trouve ça plutôt cool de la voir, et puis l’air marin me change de la pollution irrespirable des pots d’échappements parisiens. Après je suis pas nécessairement fan de baignade ou de surf et tout, c’est sympa à regarder mais je m’y tenterais pas, j’ai pas ça dans le sang je suppose.
• Avez-vous déjà assisté à un phénomène étrange ou surnaturel ? Pas que je sache. Et puis je suis pas superstitieux. De plus, pour ma part les OVNI ne sont pas réellement un phénomène surnaturel, je suis persuadé qu’il y a de la vie ailleurs donc ça règle le souci des extraterrestres. Quant aux fantômes, mythes et légendes et tout le barda… bah, c’est effrayant mais je n’y crois pas vraiment. Après s’il y a une explication rationnelle, pourquoi pas.

Ok, c’est bon, stop. On s’arrête là et on tire tout ça au clair.
Sur beaucoup de points, cette situation craint. Commençons par l’erreur numéro trois – non, pas la première et encore moins la deuxième parce ce que je suis un rebelle. Comme vous avez pu le constater, je suis complètement bourré, pété, full, ivre, tout ce que vous voulez mais en tous les cas je n’arrive pas à tenir debout correctement. Heureusement que ce mec est là. Enfin, « heureusement »... ça c’est encore à voir. En plus je connais même pas son nom – pas encore. On y reviendra. Passons maintenant à une autre chose qui craint : j’ai amené un inconnu chez moi, quatrième erreur.
Vous vous demandez peut-être quelle a été la première bourde, celle qui a entraîné toutes les autres ? La deuxième aussi ? On va dire que oui. Pour ça, il va falloir revenir un peu en arrière.
Oh, autre erreur. J'ai dégueulé sur ses chaussures. Elles avaient l’air neuves. Et chères. Oups. Bon on va pas s’attarder sur cet incident. On rembobine, j’ai dit !



Voilà pour le petit flash-back. Après on a (j’ai) continué à boire et quand il m‘a jugé trop bourré il m’a proposé de me ramener. J’ai trouvé ça cool de sa part, inconscient du fait que je ne pouvais plus marcher (je pensais pouvoir voler si je battais des bras en fait, mais ça…) et je l’ai guidé jusque chez moi. Enfin c’est plutôt lui qui m’a porté, mais ce n’est qu’un détail, hein.
N’empêche… c’est même lui qui a tourné ma clef dans le verrou. Maintenant que j’y pense c’est limite drôle. Mais bon, comme il ne s’est rien passé de notable après ça, on va pas trop s’attarder. Si vous voulez quand même savoir, je me suis endormi comme une masse dans mon canapé. Le réveil a été dur le lendemain, mais même avec une gueule de bois je me suis levé pour aller au labo dans lequel j’avais trouvé un stage. Félicitez-moi bordel, c’était dur. Mais pas moyen que je n’y aille pas. Une aspirine et hop.
Par un éclair de bon sens, j’avais noté (de manière plus ou moins intelligible) le rendez-vous dans mon portable et le soir même, après avoir nettoyé les dernières tables du restaurant de plage où j’étais employé, je suis allé à l’endroit où on devait se retrouver. C’était parfaitement à l’opposé de là où j’habitais, dans une zone visiblement assez touristique mais pas vraiment dans le bon sens du terme. Après tout, à partir du moment où il y a du tourisme, des sales coins se forment dans l’ombre des plus beaux mais n’en sont pas pour autant peu attractifs. Là, il s’agissait principalement d’un tout petit coin de rue qui craint.
J’avais repéré le mec d’hier derrière un genre de casino bizarre (je ne me suis pas attardé sur la façade) qui faisait face à une boite de nuit. Mais reprenons le cours de notre histoire plus en détail, voulez-vous.


Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai insisté sur ce passage ? Parce que ça a été la deuxième grosse erreur. La deuxième en plus de la deuxième. La sixième. On en a rajouté au passage, vous ne vous souvenez pas ? La sixième erreur a été la deuxième pire avec la deuxième. Rah, mais il faut suivre un peu !
Mais revenons-en à la question. J’ai insisté là-dessus pour le moment clef. Celui où j’ai passé la porte, et oui. Les quatre petits mots à la fin. Tout ça pour ça ! Hin hin. C’était un peu comme un piège. J’étais juste devant et je savais ce qui m’attendait mais j’y suis quand même allé en connaissance de cause, avec la pleine possession de mes moyens. Ouais ouais, c’est pas rien. Pour ma défense, ce n’était pas du masochisme mais plutôt du… désespoir ? C’est le mot, voilà. Merveilleux.
Maintenant, vous vous demandez peut-être ce qu’il s’est passé derrière cette porte ? … Ah, nan, sérieusement. J’ai pas très envie d’en parler. On dirait pas comme ça mais j’en ai vraiment pas envie donc on va être bref.

Le type d’hier se présenta – enfin – sous le nom de Caden et me présenta a celui qui allait être son patron et qui était aussi le sien. Il s‘appelait Parth. Aucun nom de famille. Je suis sûr qu’ils avaient le mien.
En fait, je crois que le pire, c’est que je savais clairement ce que je faisais. Bordel, j’avais mis ma mère en danger – plus qu’elle ne l’était déjà – en les laissant connaitre mon nom. Et j’avais vu leur visage. Je ne rechignai donc pas quand il me tendit un verre et me demandai ce qui allait m’arriver ensuite. Vous avez probablement deviné aussi, non ? Enfin, vous le savez de toute façon. Je pensais pas que ma première fois se passerait comme ça, mais quand il faut…
Non. C’avait été répugnant. On m’avait emmené dans une pièce. Il y faisait noir, on y distinguait à peine une silhouette. C’était le but, qu’on ne se voit pas. La spécialité de la maison, ça pouvait être n’importe qui, l’anonymat restait d’or. Cela ne voulait pas dire que personne ne prenait de précautions bien sûr. Ça pouvait être un clochard, un touriste (surtout un touriste) ou un ministre. Enfin peut-être pas un ministre. Mais vous avez saisi l’idée.
Bien que ça le soit maintenant, ce n’était pas très clair dans ma tête à ce moment-là. J’ai rien compris je vous jure. J’ai pas vu ce qui s’est passé - j’ai juste senti. J’ai senti le truc qu’il y avait dans le verre de tout à l’heure faire bouillir mon sang dans mes veines, j’ai senti un parfum féminin, j’ai senti sa chaleur sur moi et j’ai suivi chacun de ses mouvements. J’ai senti sa peau nue, j’ai senti son souffle. Tout.
C’était dégoutant, je vous l’accorde, et terriblement impersonnel. Mais ça tout le monde s’en fout. Je sais même pas pourquoi je le dis.

Quand elle fut partie, on ralluma la lumière. Je ne sais pas comment je me sentais. En tout cas, Caden revint et me passa une belle quantité de billets. Puis il m’en retira la moitié. Il me dit qu’à chaque fois que je ferais ça, j’aurais la même somme. J’avais – approximativement – compté. Il ne m’avait pas menti en me disant qu’en fin de semaine, j’aurais de quoi faire durer l’hospitalisation de ma mère. Un salaire normal ne me l’aurais pas permis parce qu’il ne serait pas arrivé tout de suite. Là c’était différent.
J’ai accepté.
Je ne suis pas totalement con. Je savais que je courais pas mal de risques en me lançant là-dedans. Mais sur le moment, ça m’était apparu comme ma seule chance. Alors voilà. C’était parti.

Et pourtant. Visiblement ça n’a pas suffi, parce que vous savez quoi ? On avait trouvé une greffe pour ma mère. J’étais super heureux, vous imaginez pas, ça allait marcher ! L’opération s’est déroulée correctement. Tout était bien. Tout était parfait. Mais je ne peux pas choisir ça comme souvenir le plus heureux de ma vie. Oui, forcément sur le coup c’était génial, j’avais réussi à offrir un nouveau cœur à ma mère, ma seule famille – ta gueule Rémi. Je ne reviendrai pas là-dessus mais elle était mère célibataire, mes grands-parents avaient faits leur temps et elle n’avait ni frère ni sœur. Moi non plus. Vous vous doutez donc à quel point je tenais elle. Au passé, ouais. Parce que deux jours après, il y a eu rejet et ça l’a tué.

Maintenant que vous savez ça, je vous arrête tout de suite. « Pauvre biquet, il n’a plus de famille et il est obligé de vendre son corps ! Dans mes bras, chouchou ! » Dans l’absolu c’est pas faux mais laissez tomber la pitié et tout le bordel, hein, j’en veux pas. Ok, la situation n’est pas enviable. Ok, j’ai dû perdre un nombre important de kilos après ça. Ok, j’ai eu du mal à m’en remettre, mais ça fait deux ans maintenant. Certes j’ai toujours ces deux boulots là mais vous savez quoi ? Je fais des études. C’est bête dit comme ça, mais je me raccroche à ça. J’ai toujours pas perdu mon rêve des yeux. Je vais devenir astrophysicien et je vous emmerde. Parce que oui, malgré tout j’arrive à avoir du temps pour étudier et même du temps libre pour, genre, dormir. C’te luxe. Tout business a ses périodes de creux, que ce soit d’un côté ou d’un autre. Quand il y a pas de touristes, ça ralentis. Je vous raconte pas l’été, par contre.
« Donne-moi un million et tu pourras te barrer. Je garderai un œil sur toi mais je te demanderai plus rien. » m’a dit Caden quand je lui ai demandé si je pouvais partir de là. « Deal, » lui avait-je répondu. Je me doutais bien qu’il y aurait une connerie du genre, je pouvais pas arrêter du jour au lendemain. Il avait bien rigolé en me lançant ça, mais il était sérieux. Ou pas. J’en sais rien. Disons que oui – restons positifs, non didiou ! Ce n’était que le fric qui l’intéressait. Avec ce que je vise, si je m’en sors, je garderai le secret c’est clair. Donc pourquoi pas. Un million de dollars… c’est une somme, tout à fait raisonnable, n’est-ce pas ? Absolument. Plus qu’à jouer au loto mon grand.

Quelqu’un a pas des idées de chiffres là ?