Ma queue de poisson fendit l’eau dans un claquement sonore. Un rire frais m’échappa alors que ma tête émergeait de la mer que je redécouvrais avec grand plaisir. Des gouttelettes s’accrochaient à mes cils, mes cheveux étaient plaqués sur mon front mais rien ne pouvait changer mon allégresse, à ce moment. Oui ! J’avais réussi à combattre mes craintes et au petit matin, j’avais enfilé une humeur réjouie et je m’étais rendue à la plage pour nager. Effectivement, la décision de passer outre ces horribles transformations m’était venue progressivement. Tout mon courage et ma volonté avaient été rassemblés en cette journée pour venir à bout de mes appréhensions. Mes peurs, mes inquiétudes ? Oubliées, maintenant que j’étais dans l’eau ! Comment avais-je pu me passer de ce plaisir pendant cette longue semaine, moi qui avais connu la plage avant d’apprendre à marcher. Je me le demandais alors que je plongeais de nouveau sous l’eau, mes cheveux rouge cerise suivant mes mouvements agiles et appliqués.

Je n’étais pas si loin de la rive, tu pouvais aisément m’apercevoir. Et j’étais loin de me douter que tu observais mes jeux enfantins. Je venais de sortir la tête dans l’eau, lorsque mes yeux se posèrent sur toi, jolie demoiselle à la crinière rousse. De surprise, ma bouche s’entrouvrit, en revanche aucun son ne se fit entendre. Nous nous observâmes quelques fractions de seconde. Je ne me souviens plus vraiment ce que tu avais essayé de me dire, mais ton regard me semblait rassurant. Même si j’étais trop étourdie par la surprise du moment, je suis certaine de confirmer qu’il n’y avait aucune crainte dans tes yeux. De l’appréhension peut-être, mais pas le dégoût auquel je m’attendais. Encore une fois, je ne me connus pas dans mon geste lâche ; je plongeai sans te laisser le temps de m’approcher et m’éloignai de toi, la mort dans l’âme à l’idée que mon secret soit découvert.

Jeune rouquine, je suis désolée de m’être évadée… Dieu sait combien j’ai besoin d’alliés, ce poids est bien trop important pour mes frêles épaules.

Tu étais assise à une table du réfectoire. Seule, désinvolte, te souciant peu de mes regards insistants puisque tu ne me voyais pas. Ces derniers jours, je t’avais longtemps épiée sans que tu ne te rendes compte. A force de t’observer, j’ai appris certaines de tes habitudes. Je commençai déjà à me sentir proche de toi sans que tu ne saches mon existence. J’avais l’impression d’être un préadolescent intimidé qui guette sa dulcinée et l’étudie pour mieux la connaître. Voilà où m’avait mené ma nouvelle nature… Je ne me reconnaissais plus. Un léger tremblement secoua mon échine. Où était passée ton audace, Anastasia ? Où avait disparu la jeune femme rebelle qui était toujours partante pour faire ses preuves ? Je me mordis doucement les lèvres, m’accordant la permission d'accorder un nouveau regard vers ta direction. Le brouhaha de la salle raisonnait un peu trop fort dans ma tête, m’empêchant de me concentrer. Je me laissai aller en arrière, m’adossant à un pilier de marbre, les paupières fermées, cherchant à nettoyer mon esprit de multitudes d’interrogations qui restaient sans réponse. Enfin, sans que je ne puisse reprendre contrôle, mes pas me guidèrent vers la table que tu occupais. Une voix – ma conscience ? – agonisante raisonna dans ma tête, je me permis de l’ignorer alors que je t’abordais gauchement :

« Bonjour Effie. » Bien sûr, je connaissais ton prénom, je l’avais appris de la bouche d’une de tes amies. Ce jour-là, j’avais souri en retour du sourire que tu lui avais adressé. Effie. Un nom si charmant. « La place, est-elle libre ? Puis-je m’asseoir avec toi ? » Je me demandai un instant si tu te souvenais de moi, alors que nos yeux entraient pour la deuxième fois en contact. J’espérais au fond de moi, que ça ne soit pas le cas. Ainsi, je pourrais aisément faire demi-tour si je manquais de courage, te raconter des banalités et enfouir ce souvenir de ce matin à la plage au fond de mon cœur. A jamais.