Ezra ne le sentait pas. Il le lui avait dit alors qu'ils étaient en haut de la falaise. Désormais, tout deux avaient attaqués la descente, soigneusement arnachés. Ils se trouvaient sur l'île de Staffa, connue pour ses falaises de basaltes et ses nombreuses orgues. Vitanie portait sur elle une combinaison de plongée sombre car les nuages s'amoncelaient dans le ciel et elle sentait que la pluie ne tarderait pas à tomber, et pas qu'un peu. Mais néanmoins, elle descendait toujours le long de la paroi, aux côtés d'Ezra. Celui-ci était de moins en moins rassurait, et soudain, Vitanie prit peur. Elle était toujours descendue avec lui, parfois même dans des endroits plus dangereux que celui-là ! Et pourtant, elle le sentait tendu. Oui. Et cela faisait accélérer malgré elle les battements de son cœur tandis que le ciel s'obscurcissait de plus en plus. Il était à peine seize heures pourtant. « Vitanie... on remonte ! » La jeune fille de dix-huit ans s'arrêta, s'accrochant à la paroi rocailleuse, se tournant vers son jumeau, un lueur moqueuse dans les yeux «  Quoi ? Tu veux t'arrêter ? T'as peur c'est ça ? Hein ? Franchement, on a fait pire ! » « Je le sens pas. » répondit-il. Vitanie frissonna. C'était leur règle d'or ça, si l'un d'entre eux ne le « sentait » pas, alors ils n'y allaient pas. Mais un seul regard vers le gouffre, l'océan en contrebas suffit à décider l'entêtée qui répondit « Moi je descend, libre à toi de faire ce que tu veux. Remonte si tu as peur ! ». Puis elle reprit sa descente tandis que son jumeau lui, remontait, sans lui avoir adresser la parole. Vitanie pouvait au moins de vanter d'avoir eu le dernier mot, et également d'être plus courageuse qu'un homme ! Néanmoins, plus elle descendait, plus elle comprenait qu'elle avait eu tort, qu'elle aurait du remonter, la paroi, déjà lisse à causes des orgues, était devenue plus glissante avec la bruine légère qui tombait, et même si cela faisait quelques années qu'elle grimpait, pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit mal à l'aise. Seule sa fierté, son orgueil l'empêcha de remonter. D'ailleurs, elle ne distinguait même plus le haut de la falaise, elle était uniquement concentrée sur ses prises.
Et puis il lui suffit d'un moment d’inattention pour que tout bascule. Pour qu'elle bascule. Elle ne sut jamais comment, mais la corde qui la maintenant, son harnais de sécurité se détacha et rapidement, sans même avoir le temps de hurler, Vitanie tomba dans le vide et fut engloutie par les eaux sombres et agitées.



Sa tête lui faisait affreusement mal. Et elle était trempée malgré sa combinaison. Voilà les premières pensées de Vitanie lorsqu'elle commença à émerger du sommeil dans lequel elle s'était involontairement plongée. Gémissante, il lui fallut de longues minutes afin de retrouver ses esprits et lorsqu'elle se sentit mieux, ce fut avec peine qu'elle se redressa, toute courbaturée. Un regard à ses mains suffit à voir qu'elle saignait, et en baissant les yeux, elle remarqua son harnais déchirait. Impossible. Il était neuf, au top de la sécurité, comment avait-il pu la lâcher ? Heureusement qu'elle n'était pas loin de la fin de la falaise sinon elle se serait écrasée contre les rochers et dans l'eau aussi, qui l'aurait projetée encore plus sur les rochers. Vitanie se redressa, elle était dans un endroit sombre, à proximité de l'eau, elle en entendit le clapotis et en sentait le fraîcheur. Seul la lueur de la lune éclairait la grotte dans laquelle elle se trouvait. Pourquoi d'ailleurs ? Elle n'en avait aucune idée. Elle se rappelait vaguement de comment elle était arrivée là, après sa chute, elle avait du se lever emporter par le courant qui l'avait amené là. Ici. Où était-elle ? Oh. La panique, lentement commença affluer en elle tandis que son cœur s’accélérait. Elle bondit sur ses pieds, s'appuyant contre les parois de basaltes, elle aurait voulu hurler, et à vrai dire, c'est ce qu'elle fit, elle hurla à s'en arracher les cordes vocales tant elle avait peur, là, seule, dans une grotte, dans le noir. Personne ne la retrouverait jamais ! On trouverait son cadavre dans des semaines ! Longtemps elle frappa les parois, abîmant encore plus ses mains avant de donner un dernier coup de pied qui lui arracha un hurlement de douleur. Douleur et peur. Elle respirait bruyamment, ou plutôt elle haletait. Elle crut devenir folle un bref instant et ce ne fut que lorsque la lune apparut, pleine, ronde, dans le ciel sombre piqueté d'étoile -et ce fut là que Vitanie remarqua qu'il n'y avait plus de nuages et qu'elle avait du dormir pendant des heures- , que l'eau du bassin qui lui faisait face commença à remuer. Tout doucement d'abord, puis l'eau bouillit carrément, des bulles s'en échappèrent. Gamine, Vitanie avait toujours adoré ça, mais cette fois-ci c'était différent. Un volcan entrait-il en ébullition ? Allait-elle mourir là ? Maintenant ? Mais non, elle ne sentait aucune augmentation de température. Alors, décidée, elle plongea la tête la première dans le bassin, autant mourir vite plutôt que d'attendre, surtout que de nuit, personne ne viendrait à son secours, pas même Ezra. L'eau bouillonnait autour d'elle et c'était très agréable, c'était comme si l'eau chantait autour d'elle. Habituée rapidement à sa froideur glacée, Vitanie savoura l'instant, elle était là, dans l'eau qui peu à peu, redevenait calme, sous les rayons argentés de la lune, tandis qu'un formidable éclat de rire la prit et résonna encore une fois.
Et ce fut à ce moment-là, lorsque son rire se tarit qu'elle baissa les yeux et qu'elle vit. Si les eaux étaient sombres, l'éclat de la lune les rendaient transparentes, presque accueillantes et non plus menaçantes. Vitanie frissonna de tout son cœur, de la tête jusqu'au bout de la queue qui lui faisait office de jambes. Dans l'eau qui bouillonnait autour d'elle elle n'avait pas senti ses jambes fusionner en une magnifique queue d'un vert pâle, couvertes d'écailles de la même couleur. Elle fut surprise, choquée, et sa première pensée fut qu'elle détestait les poissons et qu'elle en était devenu un. Puis après, elle se dit que ce n'était qu'un rêve, que les sirènes n'existaient pas. Et se mêlèrent dans l'eau ses larmes lorsqu'elle comprit qu'elle ne rêvait pas, que tout cela était bien réel et pourtant, Vitanie ne pouvait pas y croire, ce n'était tout simplement pas possible ! C'était magique, pas scientifiquement explicable ! Les gens ne pouvaient pas se transformer comme ça, se retrouver avec une queue de poisson ! Il lui fallut de longues minutes pour se calmer. Vitanie finit par comprendre que sa queue était son salut, que désormais, elle pouvait nager dans les profondeurs, s'en aller d'ici, chercher une grève, une plage où s'échouer en attendant qu'on la retrouve. De nouveau, l'angoisse l'étreignit, et si sa queue ne disparaissait pas ? Serait-elle contrainte à vivre seule, dans les océans ? Y avait-il d'autres sirènes ? Serait-elle enfermée dans un bassin et exhibée à la vue de tous ? Serait-elle euthanasié puis disséquée pour servir à la science ? De nouveau, sa tête lui fit mal et elle décida de s'échapper de cette grotte maudite.

Dans le ciel, la lune prenait toute la place, du moins, c'est ce qu'il lui semblait. Rapidement, Vitanie s'était habituée à sa queue et elle ondulait dans l'eau, très doucement, comme si elle craignait de se briser. L'air nocturne était frais et pourtant, elle se sentait étrangement bien. Elle avait toujours aimé l'eau, et elle avait toujours aimé faire semblant d'être une sirène. A la piscine, avec Ezra, elle s'amusait à cela, dans l'eau chaude, et son frère était le méchant chasseur ou le requin. Mais là, c'était différent, elle ne parvenait pas à y croire. Une sirène. Elle était une sirène. Il lui fallait jeter un regard à sa queue pour vérifier. Finalement après un certain temps, elle réussit à atteindre une plage et dès qu'elle fut hors de l'eau elle se traîna sur les galets, gênée par le fait d'avoir une queue puis au bout d'une quinzaine de minutes, alors qu'elle séchait de plus en plus rapidement, elle retrouva ses jambes et sa combinaison. Vitanie fixa ses jambes, les yeux ronds, et un immense soulagement l'envahit. Elle n'était pas condamnée à rester une sirène le restant de ses jours ! Elle ferma les yeux, soulagée, avant de se redresser brusquement de bondir sur ses pieds. Puis elle retomba sur le sol, grimaçant. Les galets n'étaient pas confortables. Elle devait rester là. Il n'y avait pas d'habitations sur Staffa qui était une île touristique tellement petite qu'aucun bâtiment ne pouvait être construit. Sans doute un bateau viendrait à sa recherche le lendemain ? Sûrement oui car il n'y avait aucun autre moyen de transport. Finalement, la fatigue, la peur, et tout les élèvements qui venaient de se produire eurent raison d'elle.

Ce fut le contact de la peau de quelqu'un sur son cou qui la réveilla brusquement tandis qu'elle se retrouvait nez-à-nez (et pas que littéralement) avec un bel inconnu. D'un coup d’œil elle le jaugea et décida que ce n'était pas son style. « Vous allez bien ? » fit-il d'une voix grave, inquiète. Vitanie se redressa brusquement, regarda autour d'elle, bien elle baissa les yeux, elle avait des jambes. « Ouais. Ouais ça va. Il est quel heure là ? » L'homme eut un léger sourire « Huit heures. » « Vous êtes matinal. » « Vous aussi. Vous êtes sûre que tout va bien ? Vous saignez. » Vitanie fixa ses mains, haussa les épaules « Je suis une escaladeuse... Je suis tombée de la falaise hier soir. » « Ah c'était vous. On en a parlé à la radio, sur la côte. Des équipes de secours vous recherchent. Restez là, je vais les prévenir. » L'homme se redressa et à ce moment-là, Vitanie remarqua qu'il était assez grand puis il se dirigea vers un bateau qu'il avait arrêté sur la plage avant de prendre ses talkie-walkie et de parler un long moment. Vitanie se mit debout rapidement et se dirigea vers lui, elle se stoppa lorsqu'elle entendit qu'il parlait d'elle. Il l'avait trouvée et elle allait bien. Les dernières phrases la glacèrent. Il allait la ramener sur la côte. Lorsqu'il revint vers elle, un sourire au lèvre, elle l'attendit, les bras croisés « Et au fait, t'es qui ? Parce que faudrait peut-être que je sache ton prénom et nom au cas où tu voudrais me tuer ou m'enlever. Parce que oui, un homme sur ce trou paumé qui se propose, ou plutôt qui ne me laisse pas le choix et qui va me ramener, c'est un peu étrange.... » « Je suis Evan Willworth-Roswell, chercheur en environnement marin. J'étudie ces fonds-ci, puisque c'est un lieu protégé, histoire de voir si le tourisme ne nuit pas trop. » Ok. Vitanie et les sciences, mieux ne valait pas en parler. « T'es australien non ? Vous avez un accent. » « Exact.» « Ouais, ma mère vient de là-bas, elle a eu un gosse, mais elle a rencontré mon père et ils sont venus ici, du coup, mon demi-frère a l'accent écossais, mais pas ma mère. Bon, tu me ramènes? Je suis en vie non ? J'aurai pas à aller à l'hôpital si ? » « Non, enfin un docteur. Rapidement. Tous le monde est inquiet pour vous vous savez. Il y a eu une tempête hier soir. » « Non, non, il a fait beau ensuite. » Arrivée près de l'eau, Vitanie s'arrêta net, terrifiée. Non. Non. Elle ne voulait pas toucher l'eau. L'eau. Un bref instant elle avait oublié ce qu'il s'était passé. « Je... non... » Evan s'arrêta brusquement, la voyant focalisée sur l'eau, terrifiée, finalement, il sourit légèrement et la prit dans ses bras, la soulevant comme une vulgaire poupée de chiffon -ce qui ne plu absolument pas à Vitanie- mais lorsqu'elle se hissa sur l'échelle, elle fut soulagée. Evan mit le moteur et démarra, juste après lui avoir tendu un jus de fruit pour qu'elle « reprenne des forces » comme il avait dit. En y réfléchissant, c'est vrai qu'elle avait très faim et qu'elle était épuisée, et pourtant, elle se sentait étonnement bien. Même sur ce bateau avec un inconnu, assise entre du matériel scientifique. Il leur fallut une bonne demi heure pour arriver au débarquadaire sur lequel Vitanie vit Ezra ainsi que plusieurs personnes inconnues. Dès qu'elle posa les pieds à terre son frère l'écrasa contre lui, la serrant à lui couper le souffle. « Lâche moi ducon ! » Ezra rit avant de s'écarter. Vitanie se retrouva soudain face au médecin qui la fixa d'un air qu'elle n'aima pas et elle lança, de mauvaise humeur « Et vous, vous pouvez repartir, je vais parfaitement bien! ». Sur ces paroles, elle se retourna vers Evan et lui adressa un magnifique sourire « Merci de m'avoir ramenée ici. J'espère qu'on se reverra. » « Je ne pense pas malheureusement, je pars pour l'Australie dans deux semaines, je travaille là-bas en fait. » « Oh. Eh bien, j'ai été ravie de te rencontrer Evan » fit-elle en souriant encore plus. D'un pas vif elle se dirigea alors vers la voiture de son frère, elle n'avait que deux envies. Rentrer chez elle et dormir. Elle ferait les deux.